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qui fut longtemps Léopold Dancla. Mon père jouait second violon, avec une attention, que dis-je ? une tension telle — en apparence au moins, — de tout son être, que sa physionomie, son attitude donnaient à son jeu, comme, je crois, son plaisir même, le sérieux d’un travail ou d’un devoir. exigeait de l’auditoire, non pour lui, mais pour les maîtres, un respect silencieux. Le moindre mot, risqué tout bas, une entrée intempestive, était punie d’un « chut ! » ou d’un regard sans aménité. Aussi bien l’auditoire, comme les exécutants, n’avait rien que de modeste. Peu nombreux étaient les appelés, et ceux-ci, — qui n’étaient pas très difficiles, — se croyaient vraiment des élus. Ils formaient un groupe d’amis indulgents, nos voisins pour la plupart. A Paris alors, comme l’a dit Anatole France, « les gens étaient plus près les uns des autres. » Ils l’étaient même par l’esprit, par une commune simplicité de goûts et de mœurs. A se voir, à se recevoir sans faste, ils trouvaient un plaisir délicat, « une intime et cordiale douceur. Il était moins que somptueux, le petit salon de la rue Saint-Guillaume, avec son plafond bas, ses boiseries blanches, ses meubles de palissandre, recouverts de velours bleu. Et que ce velours fût capitonné, cela ne me paraissait déjà plus, comme lorsque j’étais tout enfant, un signe de goût et d’opulence. De même, j’avais cessé d’éprouver, depuis longtemps, la moindre admiration pour la salle à manger, pour les chaises à haut dossier en chêne « tourné, » pour les compotiers de moderne Chine, montés sur des pieds dorés, et pour la cheminée du poêle que surmontait, République ou Minerve, une tête féminine et vaguement grecque. Sous ses yeux sans regard on s’asseyait pour une collation légère après la musique. Mais de cette musique du moins je conserve un cher, un émouvant souvenir. C’est vraiment en ce temps-là que s’ouvrit pour moi « le royaume où demeurent les enchantements célestes des sons. » Le programme de chaque séance comprenait ordinairement deux quatuors à cordes et, comme intermède, un trio, quatuor, ou quintette avec piano, dont j’étais le pianiste. Il n’existe peut-être pas une seule œuvre des maîtres qu’en l’espace de quatre ou cinq ans nous n’ayons ainsi jouée et rejouée. Haydn, Mozart et Beethoven, les premiers ; après eux, Mendelssohn et Schumann, initiaient mon oreille et mon esprit à ce mode, à cette forme, pure, entre toutes, de la beauté musicale qu’est la musique dite « de