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même de notre art, mais surtout il m’en découvrait, — de loin encore, — le mystère. Par lui, l’esprit des sons me devenait intelligible, et sensible leur âme. Quelle musique ne passa pas alors par ses mains, par les miennes, par les nôtres en- semble ! De sa musique à lui j’entendis bientôt parler, mais non par lui, car, en ces temps très anciens, Paladilhe, jeune, était déjà modeste. Le Passant, à l’Opéra-Comique, fut son premier ouvrage. Il ne m’invita point à l’entendre et j’en eus, je crois, un peu de peine. Mais au bout de deux jours, je savais la partition par cœur. Je ne jouais plus qu’elle. La fameuse « mandolinata » y avait trouvé place. Mais d’autres passages ne me ravissaient pas moins, qui n’ont pas cessé de me plaire. C’était un arioso de Zanetto ne demandant à Silvia que la faveur de vivre à ses genoux, en chantant. Je sais encore, à peu près, l’amoureuse prière. Et je n’ai pas non plus oublié la phrase délicieuse, épanouie, de Silvia : « Là-bas, Florence dort sons l’azur scintillant, » où je croyais voir s’étendre au-dessus de ma tête la splendeur nocturne du ciel italien. Ah ! cette musique du Passant, que je l’ai donc aimée alors ! Elle était de mon maitre et j’avais l’âge du Passant.

A la même époque j’aimai, — jusqu’à la folie, — d’autre musique et je ne rougis point de cet amour. On ose à peine parler aujourd’hui du Stabat Mater de Rossini. Qu’importe ! Il parle, il chante encore lui-même. Et comme jadis il chantait ! Comme le chantait une grande artiste, digne fille de son père, Mme de Caters-Lablache, sous les hautes voûtes où se déployait, telle une draperie de fête, le velours splendide de sa voix ! C’était le vendredi-saint, à Saint-Eustache, et c’était en avril. Devant la vieille église des Halles passaient et repassaient les premières voitures de fleurs, et le printemps, et les parfums, et les mélodies éclatantes s’accordaient pour emplir de joie les jeunes cœurs.

Le Requiem que Verdi venait de composer à la mémoire de Manzoni ne me causa pas une émotion moins vive. Un moment j’eus grand’peur de ne pouvoir l’entendre. On devait le donner plusieurs fois à l’Opéra-Comique, en matinée, mais non le jeudi ni le dimanche. Or tous les autres jours, sans exception ni dispense paternelle, étaient pour moi jours de collège. Alors le collégien s’avisa d’écrire au directeur de l’Opéra-Comique, — il s’appelait du Locle, — une lettre suppliante et signée