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Sa fonction exclusive est d’accomplir les liturgies, d’enseigner le catéchisme et d’administrer les sacrements. Hors de là, il n’a rien à faire dans l’ordre spirituel.

Intellectuellement, il est encore plus désœuvré, n’ayant ni livres, ni journaux, ni revues, ni le moyen de s’en procurer.

Sa grande occupation est de cultiver le lopin de terre qui lui est alloué par la commune, et il est obligé d’y travailler dur ; car il ne reçoit d’ordinaire aucun traitement, et son casuel est toujours minime. Pour augmenter ce casuel ou même pour en percevoir simplement les taxes normales, il est en lutte constante avec les moujiks. Un mariage, un baptême, une communion, une extrême-onction, un enterrement, une bénédiction du champ ou de l’isba donnent lieu à des discussions, à des marchandages, où la dignité sacerdotale a fort à souffrir. Couramment, le pope s’entend traiter de gredin, de voleur, d’ivrogne, de crapule, et les coups mêmes ne lui sont pas épargnés. Dans beaucoup de villages, son ignorance, sa paresse, son inconduite, son abrutissement le font tomber au dernier degré du mépris.

La nécessité du ministère ecclésiastique n’en est pas moins reconnue par tous les paysans. Ne faut-il pas un spécialiste pour baptiser les enfants, pour dire la messe qui est si compliquée, pour enterrer les morts, pour demander à Dieu la pluie ou la sécheresse ? Le sviatchénik est cet intermédiaire, ce courtier indispensable. ;

Le romancier Glièb Ouspensky, mort en 1902, qui a si remarquablement analysé le caractère des paysans et décrit leurs mœurs, attribue à l’un de ses personnages ce discours : « Le moujik commet des péchés dont ni le cabaretier, ni le maître de police, ni même le gouverneur ne peuvent l’absoudre. Un pope est donc nécessaire. De même, si le Seigneur accorde une belle récolte et que le paysan veuille le remercier en allumant un cierge, là encore il a besoin d’un prêtre. Car où le placerait-il, son cierge ? A la poste, à la mairie ? Non, à l’église... ! Assurément, notre pope ne vaut pas grand’chose : il est toujours ivre. Mais qu’importe ? Le buraliste de la poste est un ivrogne, lui aussi. C’est pourtant lui qui expédie les lettres. »