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il restait dans ses deux chambres aux persiennes hermétiquement closes, et, quand les douleurs de côté devenaient excessives, il se faisait appliquer des serviettes brûlantes.


Le 10 avril, il commence à parler de dispositions testamentaires, et il en entretint Montholon, en présence de Marchand. Le 12, sur une potion calmante, il se trouva un peu mieux, et il commença de dicter à Montholon les bases du testament. Il continue le 13, « enfermé seul au verrou avec le comte de Montholon. » A quatre heures, quand les médecins sont introduits, il demande à Arnott si l’on meurt de faiblesse. Il ne conserve jamais, pour ainsi dire, le peu de gelée ou de soupe qu’il parvient à avaler. Les vomissements se renouvellent, même sans ingestion d’aliments. Le 14, il continue ses dictées ; le 15, de même, et il fait dresser par Marchand l’état de son argenterie, de sa porcelaine de Sèvres, de s’a garde-robe et de ses effets. Ce jour-là, lorsque le docteur Arnott vient pour sa visite quotidienne, il lui parle des généraux qui ont commandé les armées anglaises, et il fait l’éloge de Marlborough dont il eut l’intention de commenter les campagnes, comme il a fait pour César, Turenne et Frédéric, comme il eut voulu faire pour Annibal. Il demande à Arnott si la bibliothèque du régiment possède l’histoire de ce général. Arnott ayant répondu qu’il n’en est pas sûr, l’Empereur envoie Marchand prendre l’ouvrage à la bibliothèque. C’est un exemplaire relié avec luxe de cette Histoire de Jean Churchill, duc de Marlborough, etc., imprimée en 1806 à l’Imprimerie impériale, par ordre de Sa Majesté Impériale, rare et magnifique hommage que son génie militaire a voulu rendre à un digne émule [1].

Comme tous les livres qui appartiennent à l’Empereur à Longwood, chaque volume porte, au recto du faux titre, ces mots écrits à l’encre par Saint-Denis : l’Empereur Napoléon, avec l’empreinte à l’encre d’un cachet sur lequel sont gravées en creux les armes impériales. « Tenez, docteur, dit-il à Arnott ; j’aime les braves de tous, les pays, mettez ce livre dans la bibliothèque

  1. Sir Laes Knowles, baronnet, a, dans son curieux livre : A Gift of Napoleon (London, John Lane, 1921 8°), soutenu qu’il s’agit ici des Memoirs of John Duke of Marlborough, publiés par William Coxe (Londres, 1819) en trois volumes in-8. Il est possible qu’il ait raison.