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à ce bourreau de l’état où je me trouve ; c’est vraiment lui faire trop de plaisir que de lui faire connaître mon agonie. Ensuite, que ne me fera-t-il pas dire si je consens à le voir ? Enfin, c’est plus pour la satisfaction des personnes qui m’entourent que pour la mienne propre, qui n’attend rien de ses lumières. « Il ordonne qu’on rende compte de sa maladie à Arnott ; qu’Arnott confère chez le grand-maréchal avec Antommarchi, et qu’on l’amène le soir même à neuf heures. Arnott est donc introduit à l’heure fixée, dans la chambre, à peine éclairée de la pièce voisine par le flambeau couvert. Il tâte le pouls, palpe le ventre, et demande la permission de revenir le lendemain.

Il revient le 2 avril, à neuf heures, avec le comte Bertrand, qui doit servir d’interprète : l’Empereur a permis qu’Antommarchi l’accompagnât. L’accueil qu’il lui fait est gracieux. Il lui dit « que c’est sur l’estime dont il jouit dans son régiment, qu’il a consenti à le voir, et sur sa promesse de ne pas rendre compte de son état au gouverneur. » Après qu’Arnott a fait son exploration, il lui pose diverses questions sur les fonctions de l’estomac, sur l’entrée des aliments et leur sortie à travers le pylore. « J’ai, lui dit-il, une douleur vive et aiguë, qui, lorsqu’elle se fait sentir, semble me couper, comme avec un rasoir : pensez-vous que ce soit le pylore qui soit attaqué ? Mon père est mort de cette maladie à l’âge de trente-cinq ans ; ne serait-elle pas héréditaire ? » Arnott s’approche, fait une seconde exploration, dit que c’est une inflammation d’estomac, que le pylore n’est pas attaqué ; que le foie n’y est pour rien, et que les douleurs dans les intestins proviennent des gaz qui s’y sont introduits. L’Empereur insiste, se débat, proteste que son estomac a toujours été excellent, que, toute sa vie, sauf quelques vomissements accidentels, ses digestions se sont faites régulièrement. Ainsi, seul, sans connaissances médicales, en dépit des médecins, qu’il a vainement mis sur la trace, il détermine sa maladie, puis, ayant parlé des symptômes qu’il éprouve, voyant qu’on ne l’écoute pas, il passe à d’autres sujets. Sachant qu’Arnott a pris part à l’expédition de sir Ralph Abercromby, il lui parle de l’Egypte avec une entière sérénité.

Désormais, à quatre heures, il attend ses médecins qu’accompagne le grand-maréchal ; il les garde une demi-heure ou trois quarts d’heure ; le grand-maréchal reste jusqu’à six ou