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a été fait dans une semaine, on ferme la porte par laquelle la pièce est éclairée, on allume les bougies des candélabres, on pose des lampes à globe sur des consoles des deux côtés de l’autel. L’abbé Buonavita, revêtu de ses plus beaux ornements, est debout au-devant, assisté de l’abbé Vignali et du jeune Bertrand qui fait l’enfant de chœur. Derrière le fauteuil impérial, — qui est un trône, — et quel trône ! — la petite cour s’est groupée dans l’ordre hiérarchique. L’Empereur entre, suivi du grand-maréchal et de M. de Montholon, et vient se placer devant son prie-Dieu. L’abbé Buonavita le salue comme le saluait le grand-aumônier dans les chapelles impériales, et il commence la messe.

Ce jour-là, il y eut à Sainte-Hélène des cœurs en joie, et, de cette petite chapelle que de braves gens se sont ingéniés à décorer, se dégage une tendre effusion vers la Patrie, comme vers la religion des ancêtres. Pour l’Empereur, il se mêle aux sentiments qu’il éprouve l’assurance d’être arrivé au port, la certitude d’être prochainement délivré, la conviction que ses destins vont être accomplis et que bientôt, dans cette chapelle de misère, son Dieu l’accueillera.


Jusqu’au mois de juillet 1820, l’exercice qu’a pris l’Empereur et l’occupation qu’il a prise à ces travaux dans les jardins lui ont donné une apparence de santé qui contraste avec son état antérieur. L’air lui a fait assez de bien pour qu’il ait pu risquer quelques promenades à cheval, et, pour en rendre le parcours plus aisé, Lowe a pris sur lui d’étendre les limites que l’Empereur parcourrait sans être accompagné. Peut-être s’imaginait-il que, de la sorte, la santé du captif se rétablirait ; et à l’opinion que Gourgaud avait répandue à ce sujet, Antommarchi ajoutait un diagnostic qu’il ne manquait pas de professer à Jamestown et sans doute à Plantation House. Nul de ceux qui entouraient l’Empereur ne montrait d’inquiétude au sujet de sa santé. Le grand-maréchal pensait à s’absenter, à conduire sa femme en Europe, et préparait une absence qui ne pouvait être moindre de neuf mois. Montholon avait annoncé son départ, et il appuyait, dans chaque lettre qu’il écrivait à sa femme, sur la joie qu’il éprouverait à la retrouver. Il n’attendait, à l’en croire, que l’arrivée de son remplaçant. Mais comme l’Empereur voyait ces lettres, n’était-ce pas un chantage ?