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dit des Généraux, « Bertrand, Montholon, » s’abstenant de leur donner ni titre, ni grade, et les traitant à égalité. Sa tenue est négligée, ses propos tendraient à être familiers et, si l’on doit se garder de prêter la moindre créance à ses prétendus mémoires, au moins doit-on admettre que le ton qu’il s’y donne pour parler à l’Empereur et lui répondre eût été celui qu’il eût adopté si l’Empereur l’eût toléré. L’attitude qu’il prend a un air discret de connivence, d’autant plus offensant, que c’est du même coup mettre en doute les souffrances de l’Empereur et sa parole, lui attribuer une comédie qui serait déshonorante aussi bien pour lui que pour ses serviteurs. Il eût fallu d’ailleurs, entre tous les habitants de Longwood, une complicité établie qui eût entraîné pour l’Empereur le plus terrible des régimes, l’absence presque complète de nourriture et une claustration absolue sous un climat tropical : pour ses serviteurs, une continuelle simulation, depuis trois années pour le moins.


L’année 1819 s’était passée avec « des alternatives de bien et de mal dans la santé de l’Empereur ; à la fin, il prit l’habitude de se promener dans l’un et l’autre de ses petits jardins dont l’entretien était recommandé à Noverraz. Ils étaient sous ses fenêtres, entourés d’une grille en bois, et, de ses appartements, il pouvait y passer, soit en robe de chambre le matin, soit habillé, l’après-midi. » Ainsi donnait-il satisfaction à Hudson Lowe qui, toujours préoccupé d’une évasion possible, exigeait que l’officier d’ordonnance le vît chaque jour. En même temps, s’épargnait-il ces scènes qui eussent été comiques, si elles n’eussent été odieuses, où Hudson Lowe avait voulu forcer la porte de l’appartement intérieur. Ces promenades eurent pour effet de l’amener à « parler d’agrandir les jardins qu’il avait sous ses fenêtres : il sentait le besoin de se préserver, par un mur de gazon, des vents alizés ; non seulement, il voyait dans ce travail un moyen de distraction pour lui et pour la colonie, mais il y trouvait l’avantage de repousser de la maison le cordon de sentinelles qu’on posait chaque jour à neuf heures. » Antommarchi s’est vanté d’avoir fourni cette idée à l’Empereur ; il put, quand le travail eut réussi, encourager l’Empereur à y persévérer, mais l’idée ne vint pas de lui. Elle vint de l’Empereur. Il y gagnait, disait-il, un exercice salutaire à sa santé.