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Kurier se lamente, parce que, prétend-il, c’est M. Poincaré qui gouverne maintenant en France sous le nom de M. Briand. Et la Deutsche Zeitung répète, à son tour, cet enfantillage. « Depuis longtemps, assure-t-elle, M. Briand ne sait plus résister au grand inquisiteur Poincaré ni aux autres « apôtres de la civilisation, » qui ne voient le salut de la France que dans l’anéantissement de l’Allemagne. » De son côté, M. Ruthardt Schumann s’indigne, dans les Preussiche Jahrbücher, des sentiments d’hostilité qui animent, suivant lui, la France contre l’Allemagne et qui sont, dit-il, inconnus à l’âme innocente de son pays. Il reconnaît lui-même notre « prépondérance militaire et morale ; » mais il est convaincu que nous l’exagérons par vanité, qu’elle nous inspire une sorte de folie des grandeurs, et qu’elle exaspère en nous une animosité, qui est, d’ailleurs, d’après lui, aussi vieille que la nationalité française et qui se manifeste contre tout ce qui est allemand. Et il conclut : « L’hostilité entre la France et l’Allemagne ne disparaîtra pas, car elle a ses causes dans l’essence et dans les conditions d’existence des deux peuples. »

Voilà qui est rassurant pour l’avenir et qui promet encore de beaux jours à l’Europe. On recommence à raisonner en Allemagne comme avant la guerre. On ne peut plus, sans doute, nous attribuer des idées de revanche, puisque nous sommes vainqueurs ; mais on nous prête des rêves d’orgueil et d’ambition. Nous sommes une nation turbulente, ivre d’elle-même, qui conserve perpétuellement dans l’esprit l’image du Français casqué, vêtu de bleu horizon, montant à l’assaut parmi les ruines fumantes. Tel est le portrait qu’on répand de nous dans le monde entier, pour essayer de nous rendre, à la fois, odieux et ridicules. Aux États-Unis, la propagande s’accompagne des récits les plus calomnieux sur la conduite de nos troupes dans les pays occupés. La « honte noire, » « l’horreur sur le Rhin, » forment, en Amérique, le thème d’articles quotidiens et de discours prononcés dans de vastes meetings comme celui de Madison Square Garden. Il a fallu que le général Pershing et nos fidèles amis de l’American Légion fissent entendre de vives protestations contre cette campagne de mensonges pour qu’elle commençât à se ralentir devant leur contre-offensive. Ceux des Allemands qui sont de bonne foi ne peuvent cependant prendre leurs propres inventions pour des vérités. La France ne ressemble point à la caricature qu’ils en font. Elle sait au prix de quels sacrifices elle a gagné une guerre qu’elle n’avait ni désirée ni provoquée ; elle a recouvré les provinces dont elle avait été séparée. Quelle qu’ait été l’injustice de