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jeunes âmes ou mission d’éducation trouvent, dans le martyre de mon petit héros, l’enseignement qui découle de ses souffrances et de l’injustice qui a pesé sur son destin. » L’auteur du Monstre, si recueilli, fervent et religieux qu’il fût au récit de ce double inceste, ne comptait que dire la vérité : il annonçait que cette vérité ne comportait aucun enseignement. La vérité de Champi-Tortu est d’une telle qualité qu’un enseignement des plus sérieux en dérive. Et il faut que l’on soit bien sûr de la vérité que l’on possède pour la donner comme un fait riche de conséquences doctrinales et pratiques.

Or, le père de Champi-Tortu, M. Ernest Chevallier, tuberculeux, meurt après nous avoir longtemps attristés. Les parents de ce tuberculeux sont des bourgeois fieffés, à Forgault, petite ville. M. Aristide, le grand-père de Champi-Tortu, accroche lui-même au corbillard une immense couronne de fleurs artificielles sur fond de jais, où l’on peut lire : « A mon fils, son père bien-aimé. » La famille !... « On s’était à peine rangé derrière le corbillard, que Mme Aristide, découvrant l’énorme couronne funéraire, poussait un grand cri, fendait la foule et criait à son mari, en l’étreignant : Mon pauvre homme ! Qu’elle est belle ! Ah ! notre Ernest, notre cher enfant !... On en oublia le mort, la famille, le clergé et Mme Aristide elle-même. Il n’y avait plus que celui dont la douleur s’était manifestée d’une façon si grandiose. Quant à lui, de voir l’assistance se lamenter sur son cas, cela le bouleversa et il se mit à pleurer, savourant, à se dire qu’il était le plus malheureux des hommes, la satisfaction qu’il éprouvait à se persuader qu’il était le premier personnage de Forgault. » M. Gaston Chérau veut rire ? Non pas !

N’ai-je pas l’air de chercher les tares d’une belle œuvre ?... Mais, ou je me trompe, ou ce ne sont pas menues fautes par-ci par-là : ce sont les signes, et les plus voyants, d’une manière qui me fâche et qui est un parti pris de peindre la réalité tout en noir. Très voyants et, à mon gré, choquants, les signes que voilà nous avertissent de nous méfier. Et alors, les malheurs de Champi-Tortu nous semblent accumulés avec un atroce acharnement de chagrin. Ce père, noceur émérite et que la tuberculose châtie, et qui sent mauvais, et qui a de galants désirs ; cette mère, pauvre femme, coquette et amoureuse, et qui prend pour amant le pion de Champi-Tortu ; ce grand-père imbécile, égoïste et méchant ; le pion qui se tue accidentellement ; le petit garçon qui se tue volontairement : c’est trop ! M. Gaston Chérau, qui rougirait de ménager son lecteur, ne veut-il ménager du moins la simple vérité ?