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Ce qui ne m’agrée pas est le pessimisme de l’auteur. Un pessimisme total et constant. Préférez-vous l’optimisme ? Non. Je ne sais plus quel est le philosophe anglais qui a écrit, ou à peu près : « J’affirme qu’à cette heure, et à toute heure du jour et de la nuit, tous les hommes sont parfaitement heureux. » Vous l’affirmez : hélas ! votre affirmation n’empêche pas que beaucoup d’hommes se croient fort malheureux : s’ils le croient, c’est tout de même que s’ils l’étaient en vérité. Vous affirmez que tous les hommes sont malheureux : s’ils ne s’en aperçoivent pas, c’est tout de même que si vous aviez tort. Le pessimisme est une opinion ; l’optimisme en est une autre. Si j’avais à choisir entre ces deux opinions, je les refuserais toutes les deux.

Comment un romancier consent-il à peindre la vie tout en rose, ou à la peindre tout en noir ? Il suffit de la regarder : et d’abord on s’aperçoit qu’elle est de toutes les couleurs et très nuancée de l’une à l’autre. Je dis, un romancier. Car un poète, en ses moments d’allégresse ou de mélancolie, chante sa petite chanson gaie ou sa complainte désolante : et c’est bientôt fini. Du reste, un poète avoue sa joie ou sa tristesse et, entendez-le, sa frivolité.

Mais un romancier ! Parmi les romanciers, un réaliste ! Et, parmi les romanciers réalistes, M. Chérau, qui professe qu’il n’a, en écrivant, d’autre « scrupule » que « de réaliser la difficile vérité de la vie ! » La vérité de la vie n’est pas toute rose, on le sait bien, n’est pas non plus toute noire : ce serait, pour ainsi parler, trop commode. Il faut noter les couleurs ; et aussi les teintes et les demi-teintes. Si la littérature néglige ce soin délicat, c’est grand dommage.

Le pessimisme résolu, acharné, de M. Gaston Chérau, le voici.

Les Grandes époques de Monsieur Thebault, puis La Saison balnéaire de Monsieur Thebault, deux « essais de psychologie bourgeoise, » nous montrent un bourgeois de petite ville et la sottise de ce bourgeois : une extraordinaire sottise, et que rien ne rachète, absolument rien. La sottise de M. Thebault va de la journée à l’année ; elle s’épanouit dans les occasions remarquables et se voit dans les moindres occasions. Elle est vaniteuse, elle est éloquente. Elle occupe M. Thebault tout entier. M. Thebault n’a point de sentiments : il a, en guise de sentiments, des phrases ridicules. M. Thebault n’a point de cœur ; et, s’il rencontre un pauvre, il ne lui donne rien, mais il étonne un camarade en lui exposant tout au long ses idées sur la charité, sur le fonctionnement des bureaux dits de bienfaisance et enfin sur la politique générale. M. Thebault n’a point de religion et, quand sa femme