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de l’éloquence parfaite, il semble qu’il y ait en Italie deux écoles rivales : d’une part, la manière opulente, composite, asiatique, d’un luxe qui n’exclut d’ailleurs ni le clinquant ni la mièvrerie, et que représente aujourd’hui avec magnificence M. Gabriel d’Annunzio ; d’autre part, le genre direct que l’on appelait le genre attique, ce style d’une sécheresse passionnée, non sans grâce et sans poésie, mais attentif surtout à la réalité, qui est celui des vieux poètes du trecento et celui des grands Florentins, le style de Ghiberti et de Donatello. Pour me servir d’une métaphore déjà familière aux anciennes rhétoriques, l’une est plutôt un style de peintres et l’autre de sculpteurs. Tozzi, en vrai fils de la Toscane, annonçait le retour de ces grands artistes naturalistes, le déclin des virtuoses et des décorateurs. Dans son œuvre si brève et si dense, il a réussi à unir l’émotion siennoise et le goût florentin. Il ne laisse que deux livres, mais ce sont deux chefs-d’œuvre. Nous lui devons le portrait d’un petit monde provincial, dont les physionomies s’écrivent en relief aigu sur un bronze noir. Ses personnages sont un peu anguleux et sauvages. « Est-ce ma faute, répondait-il, si les Siennois sont ainsi ? »

Il a maintenant sa croix dans le même cimetière où il a conduit ses héros, et où il venait méditer les pages les plus fortes de ses contes sévères. Désormais son image demeure liée en nous au souvenir de sa patrie. Sa mémoire s’ajoute aux objets de rêverie que poursuivra le voyageur qui s’arrêtera pour songer sur les terrasses de Sienne à l’heure où tinte l’Ave Maria, où les ombres envahissent les replis de la ville et où il ne reste d’éclairé, en plein ciel, que la folle tour du Mangia, terminée par un lys de pierre dont le couchant fait une flamme rose.


LOUIS GILLET.