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artiste, qu’à se donner la peine de naître. Quelle erreur ! Le récit de Tozzi nous détrompe : on y lit l’histoire du lent débrouillage d’un esprit.

Le livre est d’ailleurs assez confus, encombré de scènes parasites et de tableaux de mœurs qui ralentissent l’action. Par endroits, le style est déjà parfait. Voici la scène de la mort de sa mère.


Un matin, elle décida de mener Pierre chez le curé, en espérant un bon conseil. Elle avait sorti sa belle robe, et elle se dépêchait afin que son mari ne se doutât de rien : elle faisait la course en cachette. Tout à coup, elle se sentit le cœur pincé à étouffer ; elle n’eut pas le temps de jeter un cri. Elle ne s’aperçut même pas qu’elle tombait.

On la trouva la tête sur le carreau devant l’armoire ouverte ; elle était tombée en avant, comme les bêtes écrasées d’un coup de talon sur la nuque. Elle avait les yeux à demi ouverts, encore pleins de vie, et le visage un peu contracté, comme si sa mort la contrariait seulement pour les autres ; elle semblait supplier qu’on ne la grondât pas, et elle avait un air de préoccupation inexprimable, qui faisait mal.


Ce morceau fait penser à Tchekov, à Gorki. Le rapprochement s’impose plus fortement encore quand on vient à lire l’épisode principal du roman, l’histoire des amours de Pierre (le prête-nom de Tozzi) avec une paysanne coquette et perverse, Gisèle, sa camarade d’enfance. C’est elle que le petit Pierre adore « les yeux fermés. » Navrante comédie, qui finit dans un bouge. Alors seulement, le malheureux s’éveille de son rêve. « Quand il revint à lui, de l’espèce de vertige qui l’avait abattu aux pieds de son amie, il voyait clair. Il n’aimait plus. »

On a dit que Tozzi a imité les Russes. Mais il ne les a connus qu’à la fin de sa vie. C’est en lui et aussi dans l’âme de sa race (ce qui revient au même) qu’il a trouvé ces deux qualités de son art : le trouble de l’émotion et la pureté du style. Sa première œuvre, longtemps avant ses œuvres personnelles, est une Anthologie siennoise, de Cecco Angiolieri jusqu’à cette sainte fille, presque sœur de Jeanne d’Arc, et qu’il appelle « une gloire plus grande que sa patrie. » Dans les vers ou la prose de ces lointains ancêtres, dans leurs Laudi « sanglants comme les chairs des flagellants, » il a dû reconnaître un génie fraternel. Le mysticisme siennois du XIVe siècle n’est pas sans analogie avec ce qu’on a appelé le christianisme russe. La