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Chantilly, la Croix-Blanche, la Grande-Barbe, le Grand-Cerf, d’où ils pouvaient venir faire leur cour à Monsieur le Prince.

Les invités, au contraire, partis de Paris dans un carrosse de l’hôtel de Condé, montaient au village de Louvres dans une autre voiture, descendaient au château, et recevaient une hospitalité si large, qu’un méchant tireur comme Boileau, grand gaspilleur de poudre, mais incapable de tuer une pièce de gibier, était autorisé à chasser, au scandale du capitaine des chasses.

En 1686, quelques-uns des habitués de Chantilly étaient morts, et le maître de maison lui-même ne quittait plus guère son fauteuil de goutteux. La compagnie la plus brillante et la plus choisie n’en continuait pas moins à entourer le héros. Nul doute que les vingt-deux ans de ce prince de Conti, si apte à toute chose, doué d’une si prodigieuse faculté d’assimilation, n’aient singulièrement profité au contact de tant d’esprits remarquables.

Le prince de Conti d’ailleurs variait ses plaisirs. À ceux de l’esprit qui le charmaient, il ajoutait souvent les plaisirs de la chasse et du jeu. Au mois d’août 1686, il joue à l’hombre, et chasse tous les deux jours. Il part en carrosse. Accompagné de M. de La Rue, il va tirer avec ses gentilshommes, le chevalier de Sillery, le chevalier d’Angoulême, M. de Marège, au delà de la petite rivière de Chaumontel, ou, sur la rive droite de l’Oise, entre Saint-Leu et Montataire, ou du côté de Louvres pour ménager le gibier de Chantilly, ou encore… Mais gardons-nous d’arpenter avec lui toutes les terres de Monsieur le Prince.

Tantôt on part après le dîner, et l’on chasse jusqu’au soir, tantôt on quitte Chantilly dès sept heures du matin. Vers midi, on « mange un morceau au coin d’une haie, » ou l’on s’arrête dans une ferme, et l’on vide ses « cantines, » et les œufs frais et même les œufs durs sont les bienvenus, car l’on ne rentrera qu’à la nuit. Le prince de Conti semble avoir été content de Baronne, sa nouvelle chienne d’arrêt, présent de M. de Marsan. Le nombre des pièces variait entre trente et quatre-vingts, cailles, perdreaux, faisans, etc. D’ordinaire Conti était le roi de la chasse. « Il ne faut compter pour tireurs, disait La Rue le lendemain d’une journée où l’on avait rapporté soixante pièces, que lui, M. le chevalier de Sillery et M. de Marège. M. le chevalier d’Angoulême ne tua que trois perdreaux dont il y eut un en conteste. » De temps en temps, on prenait des