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Dieu. D’ailleurs, cette décision étant irrévocable, il ne servirait à rien de la critiquer ; l’important est d’en tirer le meilleur parti possible. Or, dans ses fonctions nouvelles de généralissime, l’Empereur aura constamment l’occasion de faire sentir, non seulement à ses troupes, mais à son peuple, à tout son peuple, la nécessité de vaincre... Pour moi, comme ambassadeur de la France alliée, le programme militaire de la Russie se résume dans le serment que Sa Majesté a prononcé sur l’Évangile et sur l’icône de Notre-Dame de Kazan, le 2 août 1914. Vous vous rappelez la magnifique cérémonie du Palais d’Hiver. En renouvelant ce jour-là le serment de 1812, en jurant qu’il ne signerait pas la paix tant qu’il y aurait un soldat ennemi sur le territoire russe, l’Empereur a pris devant Dieu l’engagement de ne se laisser décourager par aucune épreuve, de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire au prix de n’importe quels sacrifices. Maintenant que son autorité souveraine va s’exercer directement sur la conduite même des armées, cet engagement sacré lui sera plus facile à tenir. C’est ainsi qu’il, sera, selon moi, le sauveur de la Russie ; c’est dans ce sens que je me permets d’interpréter l’avertissement qu’il a reçu d’En-Haut ; veuillez le lui dire de ma part.

Elle cligna deux ou trois fois les yeux, dans un effort visible de récapitulation intérieure. Puis, comme si elle avait hâte de décharger sa mémoire, elle prend congé de moi :

— Je vais tout de suite rapporter aux Majestés ce que vous venez de me dire, et je vous en remercie bien.

Tandis qu’elle fait ses adieux à la princesse Paley, le Grand-Duc Paul m’attire dans son cabinet de travail avec son fils.

Le Grand-Duc Dimitry me raconte alors qu’il est arrivé ce matin de la Stavka, en train spécial, pour faire connaître à l’Empereur l’effet déplorable que la disgrâce du Grand-Duc Nicolas produirait sur les troupes. Adossé à la cheminée, avec des gestes nerveux dans les mains, il poursuit, en paroles saccadées :

— Je dirai tout à l’Empereur ; je suis résolu à tout lui dire. Je lui dirai même que, s’il ne renonce pas à son projet, comme il en est temps encore, les conséquences peuvent être incalculables, aussi funestes à la dynastie qu’à la Russie. Je lui proposerai enfin une combinaison qui, à la rigueur, pourrait tout