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le début de la guerre, l’opinion publique a compris le caractère et la grandeur de la lutte ; elle a compris que, sans une organisation de tout le pays, la victoire serait impossible. Le Gouvernement, lui, ne l’a pas compris, et quand l’opinion le lui a expliqué, il a refusé de comprendre, il a repoussé avec dédain tous ceux qui lui offraient leur concours. C’est que le ministre de la Guerre avait ses fournisseurs attitrés ; on se passait les commandes en famille ; il y avait tout un système de faveurs, de complaisances, de privilèges. Ainsi, non seulement on n’a pas organisé le pays, mais on l’a jeté dans un affreux désordre... Aujourd’hui enfin, le Gouvernement reconnaît que, sans le concours de tous les organismes sociaux, nos armées ne peuvent être victorieuses ; il avoue qu’une réforme totale est nécessaire et que cette réforme doit être opérée par nous. Cela, messieurs, c’est une victoire pour l’opinion publique et c’est aussi la leçon de cette terrible époque. M. Lloyd George disait récemment à la Chambre des Communes qu’en arrosant d’obus nos soldats, les Allemands brisent les chaînes du peuple russe. C’est la vérité même. Le peuple russe, désormais libre, va s’organiser pour la victoire ! »

Cette péroraison déchaîne, sur les bancs de la gauche et du centre, une rafale d’acclamations.

Excité par cette atmosphère d’orage, le député socialiste Tchenkéli gravit impétueusement la tribune et fulmine l’anathème contre « la tyrannie du tsarisme qui a conduit la Russie à l’abîme. » Mais il arrive bientôt à de telles injures, que le Président lui retire la parole. D’ailleurs, ses imprécations ont causé un malaise dans les partis du centre et de la gauche dont le libéralisme reste monarchique.

Le débat reprend son ampleur avec le grand avocat de Moscou, Basile Maklakow. Il démontre par une puissante dialectique la nécessité de créer, en dehors du ministère de la Guerre, un Comité des munitions et de confier la gestion supérieure des services techniques à un directeur général qui serait responsable devant ce Comité ; il s’attaque ainsi à l’omnipotence de la bureaucratie qui est la base et la condition mêmes de l’autocratisme. Après avoir montré que « la Russie est le modèle parfait d’un État où les gens ne sont pas à leur place, » il poursuit : « La plupart des nominations administratives sont un scandale, un défi à l’opinion publique. Et, quand