Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

continuel et implacable contre l’administration de la guerre. Toutes les fautes de la bureaucratie sont dénoncées, tous les vices du tsarisme étalés au grand jour. Et la même conclusion revient comme un refrain : « Assez de mensonges ! Assez de crimes !... Des réformes !... Des châtiments !... Le régime est à changer de fond en comble !... »

Par 345 voix sur 375 votants, la Douma vient d’inviter le Gouvernement à traduire en justice le général Soukhomlinow et tous les fonctionnaires coupables d’incurie ou de prévarication.



Vendredi, 6 août 1915.

Les Allemands sont entrés hier à Varsovie.

Au point de vue stratégique, la portée de l’événement est considérable. Les Russes perdent toute la Pologne avec ses ressources immenses ; ils vont être obligés de reculer sur le Bug, le haut Niémen et la Dwina.

Mais les conséquences morales m’inquiètent plus encore.

Le sursaut d’énergie nationale dont la Russie offre le spectacle depuis quelque temps ne risque-t-il pas d’être brisé par ce nouveau désastre, qui en présage d’autres à brève échéance, tels que la perte d’Ossowetz, de Kowno, de Wilna ?...



Vendredi, 13 août 1915.

Le coryphée très actif et même un peu exalté du « nationalisme libéral, » S..., ancien officier de la Garde, m’a demandé hier de le recevoir pour un long et confidentiel entretien.

Je le reçois cet après-midi et, si habitué que je sois à son pessimisme, je suis frappé de l’expression grave, concentrée, douloureuse, que je lis sur ses traits.

— Jamais, dit-il, je n’ai été aussi inquiet. La Russie est en danger de mort ; à aucune heure de son histoire, elle n’a couru un plus grand péril. Le virus allemand, qu’elle porte, depuis deux siècles, dans ses veines, est en train de la tuer. Elle ne peut plus être sauvée que par une révolution nationale..

— Une révolution en temps de guerre !... Vous n’y pensez pas !

— Oui, certes, j’y pense. La révolution, telle que je la prévois, telle que je la souhaite, serait une libération violente de