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sur les plaines de Pologne et de Galicie, combien de moujiks doivent penser : « Est-ce possible qu’ils n’aient pas à répondre de tout cela ? »



Vendredi, 30 juillet 1915.

La Douma rouvre sa session dans trois jours. Mais beaucoup de députés sont déjà revenus à Pétrograd et le Palais de Tauride est fort animé.

De toutes les provinces arrive le même cri : « La Russie est en péril ! Le gouvernement et le régime sont responsables du désastre militaire. Le salut du pays exige le concours direct et le contrôle incessant de la représentation nationale. Plus que jamais le peuple russe est résolu à poursuivre la guerre jusqu’à la victoire... » On entend aussi, dans presque tous les groupes, des récriminations violentes, exaspérées, contre le favoritisme et la corruption, contre le jeu des influences allemandes à la Cour et dans la haute administration, contre le général Soukhomlinow, contre Raspoutine, contre l’Impératrice.

En sens inverse, les députés de l’Extrême-droite, les membres du « Bloc noir, » déplorent les concessions que l’Empereur vient de faire au libéralisme et se prononcent avec force pour une réaction à outrance...



Samedi, 31 juillet 1915.

L’Empereur préside, ce matin, au lancement du croiseur-cuirassé Borodino, construit dans les chantiers de Galerny Ostrow, à l’embouchure de la Néwa. Le Corps diplomatique, la Cour et le Gouvernement assistent à la cérémonie, que favorise un ciel radieux.

Le 22 juin dernier, sur la rive d’en face, nous assistions au lancement de l’Ismaïl ; on venait d’apprendre l’évacuation de Lvow. Aujourd’hui, en arrivant à Galerny Ostrow, nous apprenons que les Austro-Allemands sont entrés hier à Lublin et que les Russes abandonnent Mitau !

La lumière violente du jour accuse la teinte plombée des visages et la tristesse anxieuse des physionomies. L’Empereur, fixé dans une attitude impassible, a le regard morne et absent. Plusieurs fois, sa bouche se contracte, comme s’il se retenait de bâiller. C’est tout au plus si un éclair anime sa figure, quand la