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Jeudi, 22 juillet 1915.

Raspoutine vient de partir pour son village natal de Pokrovskoïé, près de Tumen, dans le gouvernement de Tobolsk. Ses amies, les Raspoutnitsy, les « Raspoutiniennes, » comme on les a surnommées, prétendent qu’il est allé prendre quelque repos, « sur le conseil de son médecin, » et qu’il reviendra bientôt. La vérité est que l’Empereur lui a prescrit de s’éloigner.

C’est le nouveau Procureur suprême du Saint-Synode qui a obtenu l’ordre d’éloignement.

A peine installé dans ses fonctions, Samarine a représenté à l’Empereur qu’il lui serait impossible de les conserver, si Raspoutine continuait à régenter sous main l’administration ecclésiastique. Puis, invoquant l’ancienneté de ses origines moscovites et son titre de maréchal de la noblesse, il a décrit l’exaspération, mêlée de douleur, que les scandales de « Grichka » entretiennent à Moscou et qui ne s’arrête déjà plus devant le prestige de la majesté souveraine. Enfin, d’un ton résolu, il a déclaré :

— Dans quelques jours, la Douma va se réunir. Je sais que plusieurs députés se proposent de me questionner sur Grégoire Efimovitch et sur ses machinations occultes. Ma conscience m’obligera de dire toute ma pensée.

L’Empereur a simplement répondu :

— C’est bien. J’aviserai.



Jeudi, 29 juillet 1915.

Traversant le square qui borde la Fontanka, près du sinistre palais où, le 23 mars 1801, Paul Ier fut si prestement expédié de vie à trépas, je rencontre Alexandre-Serguéïéwitch Tanéïew.

Secrétaire d’État, grand-maître de la Cour, membre du Conseil de l’Empire, directeur de la Chancellerie privée de l’Empereur, Tanéïew est le père d’Anna Wyroubow et l’un des principaux soutiens de Raspoutine.

Nous faisons quelques pas ensemble dans le square. Il m’interroge sur la guerre. J’affirme un optimisme absolu et je le laisse venir. Il paraît d’abord acquiescer à tout ce que je lui dis ; mais bientôt, en phrases plus ou moins voilées, il épanche ses