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il est convenu que celui-ci accompagnera le voyageur jusqu’à Mogador, l’y attendra et le ramènera à Tisint. Mardochée, au contraire, restera dans ce village. On le rejoindra plus tard.

Il faut partir de nuit, dans le plus grand secret, pour ne point être attaqué et pillé. Ce départ de Tisint pour la côte Atlantique, eut lieu le 9 janvier 1884.

De Mrimima, et justement à une des heures vraiment périlleuses de son voyage, Charles de Foucauld avait écrit à sa sœur Marie. Ce n’était pas la première fois qu’il lui écrivait. Comment, par qui fut porté ce billet, écrit sur un petit carré de papier, plié et replié, de manière à ne pas avoir plus de surface qu’un timbre de quittance ? Je l’ignore. Quelque caravane a dû s’en charger ; la lettre a été reçue ; elle était datée de la zaouïa de Sidi Abd Allah Umbarek, 1er janvier : « Bonne année, ma bonne Mimi : si seulement je pouvais te faire savoir en ce jour que je vais bien, que je ne cours aucun danger ! Si tu savais combien je suis triste en pensant que tu es probablement sans nouvelles de moi depuis longtemps, inquiète sur mon sort, et que ce jour, qui est une fête pour tant de gens, est pour toi un jour plus triste que les autres ! A cette époque, où chacun reçoit des lettres de ses parents, de ses amis, toi seule n’en reçois pas du seul très proche que tu aies au monde. Je sais combien tu dois être triste, et que tu dois avoir le cœur bien gros. Mais peut-être me trompé-je : Dieu veuille ! Peut-être une partie de mes lettres t’est-elle parvenue. Si celle-ci te parvient, ma bonne Mimi, prends confiance, sois sans inquiétude : je ne cours aucun danger, et n’en courrai aucun jusqu’à mon arrivée ; le chemin est long, mais il n’est en aucune façon dangereux : si le mauvais temps, qui retarde ma marche depuis un mois et demi, continue, je serai encore trois bons mois à revenir ; si je trouve les chemins faciles, deux mois me suffiront : Dieu veuille qu’il en soit ainsi, et que je me retrouve bientôt près de toi... »

A Mogador, où il arrive le 28 janvier, après avoir traversé, pendant trois heures et demie, « une vaste forêt ombrageant d’immenses pâturages, » il va tout droit au Consulat de France et se trouve en présence d’un Israélite, secrétaire et traducteur, qui travaillait dans les bureaux, et qui s’appelait Zerbib.

— Je voudrais voir le Consul de France, et toucher un chèque sur la Banque d’Angleterre. Je suis le vicomte de Foucauld, officier de cavalerie française.