Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 63.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre elles, il y a des liens de seigneurie et de vasselage. Toutes les variétés de cette politique marocaine sont exposées dans la Reconnaissance au Maroc avec une sûreté de mots, une abondance de détails et de nuances qui prouvent avec quelle habileté Foucauld a su se faire renseigner.

Un peu plus loin, il étudie les trois chaînes de l’Atlas, le Grand, le Moyen, et le Petit. Après ces pages sévères, et lorsqu’il part de Tikirt pour aller à Tisint, le poète reparaît, toujours se surveillant lui-même, mais prenant plaisir à décrire en quelques lignes ces jardins des oasis, et, sous l’ombre des palmiers, la terre divisée en carrés, arrosée par une foule de canaux, couverte de maïs, de millet et de légumes. Ce sont des lieux de bonheur entre les plus sauvages, les plus pelés, les plus désolés des paysages. Il va jusqu’à écrire : « endroit charmant, où il semble ne pouvoir exister que des heureux. »

Dans sa course au Sud, il atteint la région du Maroc saharien, par Tanzida et Tisint. La description qu’il fait du paysage du Sud, vu de l’oasis de Tisint, est, je crois, le tableau le plus achevé qu’il ait rapporté de son voyage d’exploration : « Lorsqu’on entre à Tisint, on met le pied dans un monde nouveau. Ici, pour la première fois, l’œil se porte vers le Midi sans rencontrer une seule montagne : la région au Sud de Bani est une immense plaine, tantôt blanche, tantôt brune, étendant à perte de vue ses solitudes pierreuses ; une raie d’azur la borne à l’horizon et la sépare du ciel, c’est le talus de la rive gauche du Dra. Au delà, commence le Hamada. Cette plaine brûlée n’a d’autre végétation que quelques gommiers rabougris, d’autre relief que d’étroites chaînes de collines, rocheuses, entrecoupées, s’y tordant comme des tronçons de serpent. A côté du désert morne sont les oasis, avec leur végétation admirable, leurs forêts de palmiers toujours verts, leurs qçars pleins de bien-être et de richesse. Travaillant dans les jardins, étendue nonchalamment à l’ombre des murs, accroupie aux portes des maisons, causant et fumant, on voit une population nombreuse d’hommes au visage noir, Haratin de couleur très foncée. Leurs vêtements me frappent d’abord : tous sont vêtus de cotonnage indigo, étoffe du Soudan. Je suis dans un nouveau climat : point d’hiver. On sème en décembre, on récolte en mars ; l’air n’est jamais froid : au-dessus de ma tête, un ciel toujours bleu. »

Charles de Foucauld s’arrête à Tisint deux jours seulement ;