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Daoud auprès de Moulei et Hasen. Au sujet des relations de sa famille avec le Sultan, il me dit : « Nous ne le craignons pas, et il ne nous craint pas ; il ne peut pas nous faire de mal, et nous ne pouvons lui en faire. » Lui ayant demandé si Moulei el Hasen était aimé : « Non, il est cupide et avare. » (C’était, mot pour mot, ce qu’on m’avait dit à Fâs). Sidi Edris se promet d’aller me voir à Alger et en France, et m’engage à retourner plus tard à Bou el Djad ; que j’y revienne en Turc, je m’installerai chez lui ; nous y passerons de bonnes semaines, et je voyagerai tant que je voudrai. Il me recommande la lettre qu’il m’a confiée : « Si le Sultan en avait connaissance, il me ferait couper la langue et la main. » Je lui demande si son père S. Omar sait qu’il l’a écrite : Oui, c’est S. Omar qui l’a inspirée, et c’est lui qui a dit à son fils de se conduire avec moi comme il l’a fait ; mais le secret est resté entre S. Omar et S. Edris, ils ne s’en sont point ouverts à Sidi Ben Daoud « parce qu’il est un peu vieux. » « Que ce pays serait riche, si les Français le gouvernaient ! » me dit sans cesse mon compagnon, en contemplant les fertiles plaines qui s’étendent à nos pieds. « Si les Français viennent ici, me feront-ils caïd ? » ajoute-t-il une fois.

« La croyance à une prochaine invasion des Français fut la cause de l’accueil que je trouvai à Bou el Djad : les marabouts me reçurent bien parce qu’ils me prirent pour un espion. Dans la plus grande partie du Maroc, on pense qu’avant peu la France s’emparera de l’empire de Moulei el Hasen ; on se prépare à cet événement, et les grands cherchent dès à présent à s’assurer notre faveur. Les caresses dont me combla la famille de Sidi Ben Daoud, la lettre dont on me chargea, sont une preuve de l’état des esprits chez les plus hauts personnages du Maroc.

« Cette domination française à laquelle on s’attend, la redoute-t-on ? Les grands seigneurs, les populations commerçantes, les groupes opprimés par le Sultan ou par de puissants voisins la recevraient sans déplaisir ; elle représente pour eux un accroissement de richesses, l’établissement de chemins de fer (chose très souhaitée), la paix, la sécurité, enfin un Gouvernement régulier et protecteur. »

Onze ans plus tard, Charles de Foucauld, devenu prètre, et voyageant dans l’Adrar, devait recevoir, à sa grande surprise, la lettre suivante, signée du jeune marabout, devenu chef de la zaouïa !