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sa tête qu’il met entre mes mains ; elle courrait grand risque, si la lettre se perdait et tombait sous les yeux du sultan.

« Cette affaire terminée, S. Edris m’annonce que nous partirons le lendemain pour Qaçba Tàdla ; non seulement il m’y conduira, mais il m’accompagnera jusqu’à Qaçba Béni Mellal, où je quitterai le Tàdla. Je suis un frère à ses yeux, et il irait au bout du monde pour m’être agréable, mais il ne peut supporter plus longtemps que je vive chez les Juifs de la ville, qui sont des sauvages : il va faire chercher mes mulets et mes bagages, et désormais je serai son hôte. Une heure après, j’étais installé dans sa maison…

« A partir de ce moment, mes relations avec S. Edris prennent un nouveau caractère ; jusque-là ses caresses excessives m’avaient laissé en défiance ; le don de la lettre pour le ministre de France était une telle marque de confiance, que je ne pouvais plus douter de ses bonnes dispositions présentes ; d’ailleurs cette lettre expliquait ses avances en montrant qu’elles avaient pour cause le désir d’entrer en relations avec le gouvernement français. Sûr de S. Edris, j’eus dès lors avec lui les rapports qu’on a avec un ami ; je lui rendis confiance pour confiance, et, comme il s’était mis entre mes mains, je me mis entre les siennes : je lui dis sans restriction qui j’étais, qui était Mardochée, ce que je venais faire. Sa fidélité en augmenta. Il se confondit en regrets de n’avoir pas su la vérité plus tôt ; j’eusse logé chez lui dès le premier jour ; j’y aurais travaillé, dessiné, fait mes observations à mon aise ; si je voulais retarder mon départ, il me conduirait visiter les qoubbas et les mosquées, mettrait à ma disposition la bibliothèque de la zaouïa, qui est riche en ouvrages historiques, me promènerait dans les environs... Que ne ferait-il pas ?

« Puis, de m’offrir cent choses, des vêtements musulmans, un esclave... Comme j’avais trouvé gracieux le service fait chez Sidi Ben Daoud par de petites négresses, il m’en offre une. Dès mon arrivée, dit-il, mon visage lui a fait soupçonner que j’étais chrétien, et les Israélites ont confirmé cette opinion : que je prenne garde aux Juifs ! ce sont des gens sans foi, des coquins dont il faut se défier sans cesse ; ceux d’ici sont venus, dès le lendemain de mon entrée, lui rapporter que je m’occupais d’astronomie, que je ne parlais pas leur langage, que je n’écrivais pas leur écriture, que je n’allais pas à la synagogue, enfin