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faisant beaucoup de frais, nous raconte qu’il connaît Tunis, Alger, Bône, Bougie, Philippeville, Oran, qu’il a visitées en revenant de La Mecque. Au bout de deux heures, nous sommes congédiés, et un esclave nous reconduit à notre domicile. Mes relations deviennent de jour en jour plus intimes avec S. Edris et son père. Le 13, à midi, je suis appelé avec Mardochée chez le premier : un déjeuner nous attend encore, S. Edris le partage avec nous ; comme je lui parle de mon désir de quitter Bou el Djad, il me répond qu’il m’escortera lui-même ; il est un des plus hauts personnages de sa famille, et il ne se dérange que pour des caravanes de deux cents ou trois cents chameaux, mais, pour mon compagnon et moi, il n’est rien qu’il ne fasse ; nous partirons tous trois seuls, dans quelques jours ; il veut se faire des amis de nous ; nous lui écrirons à notre retour à Alger, et il ira nous y voir. Le repas fini, il me conduit à une fenêtre, et, me montrant la haute chaîne du Moyen Atlas qui borde l’horizon vers le Sud, il se met à me la décrire et à me donner sur elle et ses habitants une foule de détails. Pour que je jouisse mieux de ce beau spectacle, il me fait apporter une chaise et une lunette d’approche. Il est inadmissible que tant de caresses soient désintéressées : où S. Edris et son père veulent-ils en venir ? Je ne sais ; cependant on m’a promis de m’escorter à mon départ de Bou el Djad, il faut cultiver cette bonne intention.

« Le jour même, j’envoie à S. Edris vingt francs et trois ou quatre pains de sucre, cadeau convenable pour le pays. Le lendemain, 14, S. Edris nous fait chercher vers le soir, pour dîner avec lui sur sa terrasse ; dans la conversation, il répète qu’il voudrait aller à Alger, et de là sur le continent des chrétiens ; serait-ce possible ? Rien n’est plus facile, lui dis-je ; le ministre de France à Tanger le fera parvenir à Alger, où je serai tout à son service. Et lui-même, amènerait-il un chrétien à Bou el Djad ? Il ne demanderait pas mieux, pourvu que le chrétien fût déguisé en musulman ou en juif, et que le Sultan ne sût rien ; il faudrait que la chose se négociât en secret, entre lui et le ministre de France. En ce cas, ajoute Mardochée, les autorités françaises lui feront le meilleur accueil, car elles seront aises d’envoyer des Français reconnaître Bou el Djad, que n’a jamais vue aucun chrétien. S. Edris répond, en souriant, que des chrétiens l’ont visitée. « Sous le costume musulman ? — Non,