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D’un point relevé sur les cartes à un autre point également déterminé, il tâchera tout au moins d’aller par une route où personne n’a passé. Faut-il attendre ? il attendra. Payer plus cher les guides ? il paiera. Le danger, il ne s’en occupe jamais. Je crois, sur la foi de plusieurs hommes intimement liés avec lui, que le sentiment de la peur lui était étranger.

Le voyageur qui décrit et dessine ainsi les paysages, relève également tous les traits de mœurs qu’il observe. Dans cette même excursion, il rencontre un hadj, c’est-à-dire, comme on le sait, un musulman qui a fait le pèlerinage de la Mecque, et il note aussitôt que ces pèlerins, qui ont pris quelque idée des Européens, sont, en général, moins fanatiques, plus polis et affables que leurs coreligionnaires. Dix pages plus loin, il analyse l’état politique différent et la misère égale des deux parties du Maroc, le blad el Makhzen soumis au Sultan, et le pays libre, ou révolté, le blad es Stba ; partout il recueille et consigne, avec un soin extrême, les renseignements qui peuvent servir à un géographe, à un sociologue, à un colon, à un soldat. Même s’il avait parcouru le Maroc en toute liberté, on s’étonnerait qu’il eût pu le connaître si complètement.

Parfois, il s’interrompt de noter, et il juge. Ses jugements sont d’un contour aussi ferme que ses détails de topographie ou ses croquis à la plume. Il a une sympathie certaine pour les Marocains ; j’ai fait allusion, par exemple, à ce qu’il dit des pèlerins de la Mecque. Mais il a vu de trop près, lui prisonnier de leur foule, ce que valaient, moralement, les habitants des villes ou des villages : il ne peut taire les vices qui rongent les populations musulmanes. Et il est curieux de lire les lignes que je vais citer, quand on se souvient surtout que l’homme qui les a écrites devait donner une grande partie de sa vie à la conversion de ces peuples de l’Afrique du Nord, au sujet desquels, même tout jeune, il avait peu d’illusions.

« Presque partout, dit-il, règne une cupidité extrême et, comme compagnons, le vol et le mensonge sous toutes leurs formes. En général le brigandage, l’attaque à main armée, sont considérés comme des actions honorables. Les mœurs sont dissolues. La condition de la femme est, au Maroc, ce qu’elle est en Algérie. D’ordinaire peu attachés à leurs épouses, les Marocains ont un grand amour pour leurs enfants ; la plus belle qualité qu’ils montrent est le dévouement à leurs amis : ils le