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Tu demandais, pleurant sur tes anciennes joies,
Poète, si le soir doit toucher au matin,
Si nous saignons aux mains du sort comme des proies,
Si nous avons notre heure, après quoi tout s’éteint ?

Notre heure, nous l’avons à chaque heure qui laisse
Sa cendre dans nos mains, sa flamme dans nos yeux !
Plutôt que le destin accuse ta faiblesse :
Blasphémateur des jours, sache en profiter mieux !

Oui, nous semons, hélas ! des spectres de nous-mêmes
Sur les sentiers d’amour que nos pas ont tracés ;
Laissons-les se baiser avec leurs lèvres blêmes !
Pourvu qu’un sang chaud coule en nos bras enlacés,

Qu’importe ?… Sommes-nous voués aux servitudes
Des regrets incertains et des vagues remords ?
Les plaines du passé font d’âpres solitudes
Où les soleils couchés n’éclairent que des morts.


* * *


Souvenir ! Souvenir !… Subtil trameur de songe,
Artisan d’un mirage, où le cœur captivé
S’endort, et, mollement grisé par ton mensonge,
Mêle ce qu’il vécut et ce qu’il a rêvé !

C’est en vain qu’en ces lieux remplis de tes prestiges
Où notre jeune amour jadis étincela,
Tu verses dans nos seins tes plus puissants vertiges ;
Tu ne nous rendras pas captifs de ces jours-là !…

Ces jours-là furent pleins d’ivresse… Il en est d’autres
Qui sommeillent au flanc des brumeux avenirs…
Quand ils luiront pour nous, sachons les faire nôtres !
Vivons ! Multiplions sans fin les souvenirs !…


SIMPLE BONHEUR HUMAIN…


Simple bonheur humain qui luis dans un sourire,
Qui tiens dans un regard d’un regard caressé,
Dans quelques mots qu’ensemble on songe sans les dire,
Dans une lèvre offerte ou dans un front baissé ;