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Nous avons tout revu, jusqu’aux joncs de la sente,
Et, reconnaissant tout, nous disions, interdits,
L’âme sous le baiser des choses fléchissante :
— « N’était-ce pas hier que nous sommes partis ?

« Les jours seraient-ils vains que, depuis, nous vécûmes ?
« Le passé guettait-il sans que nous y pensions ?…
« Le voici qui, soudain, sort rayonnant des brumes,
« Et fait signe tout bas que nous recommencions !….

A mesure, pourtant, que nous disions ces choses,
Nul frisson n’agitait nos cœurs indifférents :
Et nous nous étonnions de demeurer moroses,
Et d’avancer bientôt muets, et soupirants…

Oui, tout était pareil, et plein de notre histoire ;
Nous allions cependant, comme un couple étranger,
Sourds aux appels des lieux et de notre mémoire,
Car tout était pareil, mais nous avions changé…

Ces chemins creux, ces rocs, ces landes, cette grève,
Cet horizon, toujours si mouvant et si beau,
Où tout un peuple gris de fantômes se lève,
N’étaient plus rien pour nous qu’un immense tombeau…

Eh bien ! pourquoi rougir de l’aveu nécessaire ?
Chaque avril les genêts sont pareils aux talus :
L’homme se renouvelle à chaque anniversaire…
La nature est fidèle, et nous ne l’étions plus !

Nous attarderons-nous à regretter les roses
Dont les parfums, jadis, embaumèrent nos mains ?
N’est-il plus d’autres fleurs plus fraîchement écloses
Que nous pourrons cueillir sur de nouveaux chemins ?

Nous retournerons-nous pour contempler notre ombre
Que le soleil moins droit commence d’élargir ?
L’horizon devant nous n’est point étroit ni sombre ;
Tant de rayons encore y peuvent resplendir !…