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Alors, m’abandonnant aux forces éternelles,
Je lancerai vers l’astre au zénith arrêté,
Et vers l’âpre horizon plein de voiles et d’ailes,
Un long cri de désir et de félicité !…


II


Again to sea !…
BYRON.


Ennui, vieux compagnon qui geignais dans la cale,
Que dis-tu ce matin de la mer et des vents ?…
Tandis que le soleil sort des flots décevants,
Monte, et rêvons ensemble à la prochaine escale…

La voile s’enfle aux souffles frais de l’Orient…
Quelle ville, bientôt, verrons-nous apparaître
Blanche et rose, et, comme une belle à sa fenêtre,
Accoudée aux coteaux, et de loin nous riant ?

Ses quais fleureront-ils le poivre et le gingembre ?
Ses toits seront-ils d’or, et ses jardins vermeils ?
Des jets d’eau parfumés pour bercer nos sommeils
Chanteront-ils dans leurs bosquets en plein décembre ?

Dans ses bazars profonds errerons-nous le soir,
Frôlés par les regards brûlants des odalisques ?
Connaîtrons-nous sous les palmiers et les lentisques
Le grand secret d’amour que nul n’a pu savoir ?…

Qu’en dis-tu, vieil Ennui, compagnon d’infortune ?
Tu souris ; un éclair dans ton œil a flambé ;
Tu guettes avec moi, pâle, et le front courbé,
Que le cri : Terre ! Terre ! ait jailli de la hune…

Mais quoi ! Je te connais. Dès qu’à l’horizon clair
La ville rose aura grandi parmi l’écume,
Tu toucheras mon bras avec ta main de brume…
Sans avoir débarqué nous reprendrons la mer…