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MARINES


I


Lorsque je reverrai, dans le prochain automne,
La maison de granit auprès du bois mouvant,
Les rocs déchiquetés où la vague moutonne,
Les souples tamaris rebroussés par le vent ;

Lorsque je m’étendrai dans la grotte lointaine,
Qui conserve, en son sable amical à mes doigts,
L’âme éparse et l’odeur de l’antique Sirène,
Et tout le bruit des flots entre ses murs étroits ;

Lorsque je cueillerai le long de la falaise
Le souci nuancé de l’arrière-saison,
En regardant fléchir le ciel sanglant où pèse
Un soleil dilaté qui remplit l’horizon,

J’aurai tout abdiqué des orgueils et des craintes
Qui couronnaient mon front comme un bandeau de fer
Libéré de l’amour et des molles étreintes,
Je recevrai le baiser rude de la mer…

En vain les souvenirs me conteront l’histoire
Des jours que je croyais heureux et triomphants ;
Leur voix ne fera plus au fond de ma mémoire
Que le bruit assourdi d’une ronde d’enfants.

Des jours entiers, couché sur la barque en dérive,
J’écouterai les mots rares des matelots ;
Et je recueillerai dans mon âme attentive
Le grave enseignement de l’azur et des flots.

Je serai libre, seul et nu sous le ciel vaste ;
Je mêlerai mes cris aux cris du goéland ;
Je laisserai bondir mon cœur enthousiaste
Sans craindre qu’un regard en comprime l’élan ;

Et parfois, enivré d’embrun, de vent, d’écume,
Grisé de solitude et de loisir vermeil,
A la pointe d’un roc où l’onde bout et fume,
Je dresserai mon corps brûlant en plein soleil :