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IX

L’œuvre était nécessaire pour sauver une partie du monde d’une catastrophe totale, qui aurait anéanti toute la civilisation ancienne ; mais c’était la plus difficile qui se présentât à l’esprit humain. Il ne faut donc pas s’étonner que dans cette défense titanique de l’orthodoxie, soient apparus tant d’hommes extraordinaires par leur grandeur intellectuelle et morale, que l’Eglise a sanctifiés. La grandeur de la nature et du génie humain n’apparaît que dans les temps de crise, en face des entreprises difficiles et presque impossibles.

Mais qu’étaient, en comparaison de cet effort surhumain, pour unifier la vérité avec la dialectique et l’éloquence, pour employer les plus puissants instruments de la culture antique en vue d’un but si nouveau, les efforts de Constantin pour sauver les restes de la culture ancienne ? De ce côté aussi, Constantin avait continué sagement l’œuvre de Dioclétien. Dans la nouvelle capitale de l’Empire, il avait fondé ce que nous appellerions une Université, où des professeurs payés par l’Etat enseignaient la langue et la littérature grecque et latine, la rhétorique, la philosophie, la jurisprudence, pour préparer des fonctionnaires à l’Empire. Il nous reste aussi plusieurs lois de Constantin, qui accordent des privilèges et des avantages ou qui assurent le sort des médecins, des grammairiens et des professeurs de belles lettres en toutes les villes de l’Empire. Mais ces efforts étaient stériles. Bureaucratisés en un enseignement officiel, n’ayant plus, dans l’agonie du paganisme, aucune tâche vitale à accomplir, les littératures et les philosophies anciennes se desséchaient dans la médiocrité des professeurs de métier, qui voulaient vivre et se faire une position au dépens des génies du passé, tandis que les génies nouveaux, les esprits de grande force, tournaient le dos au présent, méprisaient la protection officielle, s’adonnaient à la grande œuvre vitale de leur époque…

Un des plus grands livres de l’antiquité, les Confessions de Saint Augustin, nous fait voir sur le vif cette crise spirituelle de la culture ancienne. Saint Augustin avait reçu de la nature tous les dons nécessaires pour devenir un grand écrivain : l’imagination, le sentiment, le style, la langue, l’esprit synthétique et philosophique. La force de la dialectique était en lui