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son amant qui en cherche pour elle ; au quatrième, elle assiste à l’effondrement de son mari à qui on. a réclamé cet argent ; c’est tout : nous ne la reverrons plus. Il n’y a, en elle, pas plus de tempêtes que dans un égout[1].

On a beaucoup reproché à Augier de ne nous avoir montré ainsi que le profil de son héroïne. A la réflexion, on s’aperçoit qu’il l’a fait de propos délibéré, et qu’il n’a peut-être pas cédé uniquement aux craintes exprimées dans sa préface.

Et, en effet, quel a été son point de départ ? Montrer « cette plaie du luxe dans une région où le luxe n’était pas encore descendu avant nos jours. » Quel a été, jusqu’ici, le but de sa vie ? Combattre l’amant et la courtisane. Pour lui, la courtisane est la courtisane, rien de plus. Il n’a pas à l’expliquer autrement, à scruter son caractère, Son caractère, c’est d’être une courtisane. Sa fonction, c’est de faire le mal.

Il suffit donc de montrer ses œuvres pour la flétrir. C’est seulement par la désorganisation qu’elle cause qu’elle existe. Ici, elle brise un jeune ménage, jette son amant à la honte et au suicide, son mari au désespoir et à la mort. Augier n’a pas voulu faire une comédie de caractère, mais une comédie de mœurs.

Il s’en suivra ceci : ceux qui, dans les Lionnes pauvres, regardent seulement Séraphine, trouvent le drame insuffisant ; et ceux qui regardent seulement les honnêtes gens dont elle a fait le malheur, affirment que la pièce est admirable.

Parlons donc de ces honnêtes gens.

Pommeau, le mari, c’est Julien, le mari de Gabrielle, vieilli, et devenu un « patriarche de la basoche. » Même honnêteté, mêmes travers professionnels, même médiocrité d’allures, même application au travail, même grandeur d’âme, même simplicité. Il s’était fait une petite existence de célibataire et s’y complaisait lorsque les hasards lui ont donné une pupille, Thérèse, qu’il s’est mis à aimer comme si elle était sa fille, qu’il a mariée à un avocat, Léon Lecarnier, et qu’il a

  1. Nous devons dire que, dans une première version, elle s’expliquait un peu, se défendait un peu :
    « Quels enseignements ai-je reçus, moi ? disait-elle. Que m’a appris ma mère ? Qu’il faut être riche pour être heureux. Que m’a appris le monde ? Qu’il faut être riche pour être considéré. Les plaisirs et le luxe sont les dieux qu’on nous prêche de parole et d’exemple. Quand nous les adorons, on nous traite de monstres, — monstres, soit ! Si j’en suis un, prenez-vous-en à qui de droit. »