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la plus belle, sous ce titre : les Lionnes Pauvres. Est-il nécessaire d’en rappeler le sujet ? C’est la désorganisation d’une famille de petits bourgeois par l’amour du luxe chez une jeune épouse. C’est une femme qui fait vivre son mari dans un luxe dû à son inconduite, ignorée de lui.

La pièce pouvait être traitée de deux façons. La première eût consisté à nous révéler la dégradation progressive de la petite bourgeoise empoisonnée par l’atmosphère de luxe dont tout le monde était alors enveloppé. La seconde est de nous attendrir par le spectacle des malheurs qu’une semblable conduite aura déterminés. C’est celle-ci qu’a choisie Augier. Il eût été plus beau de s’attaquer à l’autre, parce que c’eût été plus dangereux. Mais peut-être était-ce impossible en 1858. Augier l’a cru tout au moins. Il l’avoue dans sa préface : « La peinture de la dépravation graduelle de Séraphine nous a paru aussi dangereuse que tentante. Nous avons craint que le public ne se fâchât tout rouge à la transition de l’adultère simple à l’adultère payé. »

Augier nous présente donc une héroïne qui, avant, même le premier acte, a touché le fond de l’infamie où elle restera après le baisser du rideau. C’était se condamner à la regrettable monotonie qui causa la chute du Mariage d’Olympe. Et il en est advenu, en effet, du personnage de Séraphine comme de celui d’Olympe. Il a paru sans intérêt, sans vie, sans réalité ; à tel point qu’aucune actrice, fût-elle Desclée ou Réjane, n’a pu le réaliser.

Lorsque nous voyons Séraphine pour la première fois, elle est dans la fange, et elle y restera. Tous ses efforts tendront à s’y installer aisément. Orpheline et pauvre, elle a été épousée par un excellent homme, plus âgé qu’elle, il est vrai, mais qui l’enveloppe de bien-être et de tendresse. Cet homme, quoique simple, est fier : elle le sait. Il l’adore : elle le sait. Il mourra de la révélation de son ignominie : elle ne peut pas ne pas le savoir. Et cependant, au cours de toute la pièce, alors qu’elle voit insensiblement la vérité se dévoiler devant ce malheureux, elle ne sera effleurée ni par un sentiment de pitié, ni par un remords, pas même par un regret. Elle est, comme Olympe, au-dessous de l’humanité. Elle n’a aucun point de contact, avec nous. Au lever du rideau, elle achète des dentelles ; au second acte, elle cherche de l’argent pour les payer : au troisième, c’est