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trouverait peut-être pas une qui fût aussi perverse. Son caractère de « courtisane » disparaît. Ce n’est pas parce qu’elle est une courtisane qu’elle a l’idée de voler un cahier dans lequel une pure jeune fille écrit ses secrets, et de faire « chanter » la famille en menaçant de le publier ; ce n’est pas parce qu’elle est une courtisane qu’elle fait cela, c’est parce qu’elle est le rebut de l’humanité, et si de pareils actes sont possibles ils peuvent être commis tout aussi bien par une vieille fille, par un homme ou par une femme mariée. Olympe n’est pas une courtisane, c’est un troisième rôle. Or, les traîtres par eux-mêmes ne sont pas intéressants. Ils ne peuvent nous émouvoir que par leurs victimes. Dans le Mariage d’Olympe, les victimes ne souffrent pas devant nous. Le mari, d’autre part, est trop naïf et trop sot. Pendant ces trois actes, il a plutôt l’apparence d’un monsieur très ennuyé que celle d’une victime. Le marquis et la marquise ne commencent à souffrir qu’au baisser du rideau du dernier acte, deux minutes avant la bruyante exécution de leur bourreau. Enfin, les nombreuses invraisemblances, assez habilement dissimulées cependant pour ne pas sauter aux yeux, n’en sont pas moins présentes et contribuent à jeter l’esprit du spectateur, sans qu’il se rende bien compte pourquoi, dans une confusion, dans un état de non-réceptivité, de résistance confuse et de malaise évident[1].


Après cet échec, Augier va-t-il lâcher sa proie ? Non. Il est trop convaincu de la noblesse et de l’utilité de la tâche entreprise. Il est un apôtre débordant de courage et de ténacité, audacieux et robuste. Une fois de plus il reprendra le même sujet. Il va imaginer une autre courtisane mariée, devenue courtisane au foyer conjugal même ; et comme, cette fois, il nous montrera la victime pantelante, le mari, il réussira, et il aura écrit sa pièce la plus forte, la plus originale, la plus douloureuse et

  1. Et qu’eût-ce été si la Censure, bienfaisante cette fois, n’avait amené l’auteur à modifier son premier dénouement ?
    Ce premier dénouement, nous ne le connaissons que par le rapport des censeurs, trouvé dans les papiers des Tuileries, je crois, et publié par un indiscret à qui notre curiosité doit un remerciement. Voici le passage qui concerne le Mariage d’Olympe :
    « Un vieillard représentant l’idéal de l’honneur et de la vertu, ne peut pas être montré se suicidant après s’être fait justice par un meurtre, pendant que sa femme, qui l’a poussé à cette action coupable, comme à un devoir, assiste, à genoux et en priant Dieu, à la catastrophe. »