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L’ŒUVRE DE LA FRANCE EN SYRIE.

français, vis à vis de l’Émir. La différence correspond à l’antithèse vivante qu’elle évoque entre le regard sombre et fuyant du prince d’Arabie, et les yeux limpides du grand soldat de France, ces yeux de Gouraud, devenus légendaires, tant ils savent regarder jusqu’au fond des âmes.

Lors de son débarquement à Beyrouth, le 14 janvier 1920, Feyçal annonce les dispositions les plus amicales envers nous. De notre côté, au risque de nous aliéner nos amis de la première heure, nous lui offrons un concours sincère et sans réserve, qui se traduit en particulier par une aide financière importante. Mais, rentré à Damas, l’Émir se laisse bientôt déborder et par les hommes et par les événements.

Un parti extrémiste peu nombreux, mais très agissant, s’est constitué pendant son absence, dirige les affaires publiques, se livre à une propagande effrénée en faveur de l’indépendance absolue des territoires arabes et rejette tout mandat étranger, quel qu’il soit. C’est ce parti qui, par la voix de la presse, outrage périodiquement la France et ses représentants ; c’est lui encore qui organise et soudoie les bandes qui agitent la zone Ouest. Suivant la formule d’un de ses dirigeants, son but immédiat est de « dégoûter la France de la Syrie et la Syrie de la France. »

Soit impuissance à dominer ce mouvement qui se précise et à gouverner contre lui dans les conditions acceptées à Paris, soit que son programme flatte les secrètes préférences de Feyçal, celui-ci lui subordonne bientôt sa ligne de conduite politique. Il continue bien à donner aux autorités françaises des assurances verbales de dévouement et de désir d’entente, mais ces prétendues bonnes intentions sont constamment démenties par les faits. Non seulement il institue une manière de marchandage tendant à reprendre une à une les concessions consenties par lui, mais encore il confirme son inaptitude à empêcher les manœuvres hostiles dont nous sommes l’objet. C’est ainsi qu’il prétend ne pouvoir nous donner la libre disposition de la voie ferrée Rayak-Alep, cependant indispensable à l’envoi de renforts aux troupes de Cilicie et à leur ravitaillement en vivres et en munitions. Il se montre également impuissant à arrêter les troubles qui recommencent de plus belle dans la région d’Antioche, chez les Ansarieh et dans le Merdj Ayoun, à l’instigation de ses plus chauds partisans.