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eux-mêmes l’honneur, à la suite de leurs grands-pères. Leurs grands-pères ! C’est trop peu dire. Je leur propose une tâche par laquelle ils se placeront dans l’effort séculaire des générations, aussi loin que remontent les annales des peuples. Durant cinq leçons, pour vivre avec l’heure présente, nous avons dû nous enfermer dans un horizon limité, mais à cette extrême limite de nos entretiens, avant de nous séparer, nous pouvons, nous devons relever la tête au-dessus du sillon tracé et élargir dans l’histoire notre regard.

Cinq siècles d’époque romaine édifient sur le Rhin une civilisation si puissante, que sur ses débris on va pouvoir bâtir jusqu’à nos jours ; les empires et les royaumes francs, en groupant les clercs dans les pfalzs et dans les écoles du Palais, maintiennent un cadre de civilisation romaine ; le Saint-Empire anime d’inspiration latine une matière germanique ; de proche en proche, les cathédrales venues de l’Ile de France surgissent le long du fleuve pour protéger sous leurs cintres et leurs ogives la prière rhénane, et Maria-Laach se souvient de Vezelay, Notre-Dame de Trêves de Saint-Yved de Braisne, Cologne d’Amiens, cependant que pour ciseler le très saint reliquaire des Rois Mages on recourt au maître orfèvre Nicolas de Verdun ; le prestige de Versailles règne dans les cours ecclésiastiques et princières du XVIIIe siècle, notre culture dans les petits cercles d’écrivains et de femmes de lettres, notre Révolution dans les clubs. Que nos doctrines varient, nous sommes toujours, au milieu des Rhénans, la nation missionnaire : c’est que chez eux et chez nous, quand les régimes succèdent aux régimes, les systèmes aux systèmes, le fond ne change pas ; il est plein de romanité ; et dans le grand mouvement du Centre catholique, qui reçut bien des inspirations et chercha plus d’un modèle dans notre catholicisme de France, il n’est pas paradoxal de discerner que quelque chose survit de l’impulsion donnée sur le Rhin par les légions, les Césars et les apôtres de la Gaule romaine. Prodigieuse tradition de vingt siècles, dont le discours ferait un des grands poèmes de l’humanité ! Cette immense perspective, toutes ces vagues humaines, cette multitude de faits qui vont d’un même puissant mouvement dans le même sens, renforcent nos conclusions, dissipent les hésitations et les inquiétudes, et nous prouvent que nous sommes dans la voie historique. Joignons nos efforts à l’éternel apostolat civilisateur