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mais gardant toute sa placidité, Kalaïew affirma solennellement : « Je veux et je dois mourir. Ma mort sera encore plus utile à ma cause que ne l’a été la mort du Grand-Duc Serge. » Le Procureur impérial comprit qu’il ne réussirait jamais à fléchir cette volonté irréductible ; il sortit de la cellule et ordonna l’exécution.

Amené dans la cour de la forteresse à une heure du matin, Kalaïew s’avança docilement vers la potence : il se laissa passer la corde au cou sans prononcer un mot.

Après ce drame sinistre, Élisabeth Féodorowna considéra que la vie du monde était finie pour elle. Les pratiques religieuses l’occupèrent exclusivement désormais. Elle s’adonna tout entière aux œuvres d’ascétisme et de piété, de pénitence et de charité.

Le 15 avril 1910, elle réalisa un projet qu’elle caressait depuis longtemps : elle institua une communauté de femmes, dont elle se fit nommer abbesse. Consacré sous le vocable de « Marthe-et-Marie, » le monastère fut installé à Moscou, dans un quartier de la rive droite. Les nonnes se vouent spécialement au secours des malades et des pauvres. Mais, au moment où elle se détachait ainsi des intérêts profanes, Élisabeth Féodorowna eut un dernier souci d’élégance féminine : elle fit dessiner l’habit de son ordre par un artiste de Moscou, le peintre Nestérow. Le costume comprend une longue robe de bure fine, couleur gris de perle, une guimpe de linon qui enserre étroitement le visage et le cou, enfin un ample voile de laine blanche, qui retombe sur la poitrine avec de grands plis hiératiques. L’effet général est simple, austère et charmant.

Les relations de la Grande-Duchesse Élisabeth et de l’Impératrice Alexandra manquent de cordialité. La cause originelle ou, du moins, le principal motif de leur désaccord est Raspoutine. Aux yeux d’Élisabeth Féodorowna, Grigory n’est qu’un imposteur lubrique et sacrilège, un émissaire de Satan. Les deux sœurs ont eu, à son sujet, de fréquentes disputes qui les ont plusieurs fois brouillées : elles n’en parlent plus. Un autre motif de leur mésintelligence est leur mutuelle prétention à se dépasser l’une l’autre en ascétisme et en piété ; chacune se croit supérieure pour la connaissance de la théologie, pour la pratique de l’Évangile, pour la méditation de la Vie éternelle, pour