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son rapport, à l’Empereur, et le comte Ladislas Wiélopolski, chef des chasses impériales en Pologne. Pâle, amaigrie, Alexandra Féodorowna souriait pourtant. Aux questions anxieuses qu’on lui adressait, elle répondit d’une voix calme : « Les médecins ne constatent encore aucune amélioration ; mais, personnellement, je n’ai plus d’inquiétude. J’ai reçu, cette nuit, du Père Grigory, un télégramme qui me rassure tout à fait. » Comme on la suppliait de préciser, elle récita ce télégramme : Dieu a vu tes larmes et entendu tes prières. Ne t’afflige plus ! Ton fils vivra.

Le lendemain 24, la température du malade descendait à 38°,9. Deux jours plus tard, la tumeur de l’aine se résorbait. Le Césaréwitch était sauvé.

Dans le cours de l’année 1913, quelques personnes s’enhardirent, de nouveau, à ouvrir les yeux du Tsar et de la Tsarine sur la conduite du staretz et son abjection morale.

Ce fut d’abord l’Impératrice douairière Marie Féodorowna, puis la sœur de l’Impératrice, la pure et noble Grande-Duchesse Élisabeth Féodorowna. Que d’autres encore Mais, à tous ces avertissements, à toutes ces objurgations, les souverains opposaient la même réponse tranquille : « Ce sont des calomnies. D’ailleurs, les saints sont toujours calomniés. »


Dans le verbiage religieux dont Raspoutine enveloppe d’habitude son érotisme, une idée apparaît continuellement : « C’est par le repentir seul que nous pouvons opérer notre salut. Il nous faut donc pécher pour avoir l’occasion de nous repentir. Aussi, quand Dieu nous envoie la tentation, nous devons y céder afin de nous procurer ainsi la condition préalable et nécessaire d’une fructueuse pénitence… D’ailleurs, la première parole de vie et de vérité, que le Christ ait apportée aux hommes, n’est-elle pas : Faites pénitence ?[1] Mais comment faire pénitence, si l’on n’a pas tout d’abord péché ?… »

Ses homélies familières abondent en ingénieux développements sur la valeur rémissive des larmes et la vertu rédemptrice de la contrition. Un des arguments, auxquels il revient de préférence et qui agissent le plus sur sa clientèle féminine, est celui-ci : « Ce qui nous empêche le plus souvent de céder à la

  1. Poenitentiam agite ! Matth. IV, 17.