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tellement lasse d’aventures qu’elle accepte. Pour devenir riche ? Non. Elle a gaspillé des richesses et les méprise. D’ailleurs, le bonhomme est simplement à l’aise. Ce qu’elle convoite,

C’est le pardon,
C’est la douceur de vivre en épouse pudique,
C’est la sérénité du foyer domestique,
Un sort de modestie et de paix revêtu ;

ce qu’elle convoite enfin, « c’est la vertu. » Elle porte envie au monde régulier, elle veut son rang parmi les femmes sérieuses, elle est résolue à se conduire « en honnête personne. » Elle a, elle, la nostalgie de l’honnêteté. Et le mariage qu’elle accepte pour rentrer dans la vie régulière, loyalement, ce mariage n’est pas sans mérite. Non seulement, Mucarade, le vieillard qui l’aime, est un barbon, mais (dans la première version au moins) c’est un barbon ridicule, échappé de la comédie italienne, un Cassandre, destiné à être berné par tous. C’est un vaniteux qui veut paraître jeune et dont les « vieux cheveux empestent la pommade, » au nez rouge, aux yeux éraillés. N’importe, Clorinde est tellement écœurée par son passé, et par l’avenir qu’elle entrevoit à côté de son frère, — que ce mari, — à qui elle entend bien rester fidèle, — lui parait préférable aux jeunes gentilshommes dont il lui faudrait subir les profitables caprices. Elle n’a pas pu dire à Mucarade la triste vérité, elle a laissé Franca-Trippa déclarer qu’il allait demander du service à l’Autriche et placer sa sœur, près de lui, dans un couvent.

Nous en sommes là, au lever du rideau. Mucarade est père d’une toute jeune fille de seize ans, fiancée à son cousin. Clorinde la respecte profondément, elle est disposée à l’aimer. Elle veut l’aimer, elle l’aime déjà : « Je l’aime, cette enfant innocente, » dit-elle. Mais voici que le fils de Mucarade, parti depuis dix ans, revient, sans avoir prévenu personne. Ce fils, nommé Fabrice, n’a pas trouvé le bonheur loin du foyer :

J’ai fortement gâché ma vie à le poursuivre,
J’ai fatigué mon cœur à tous les carrefours.

Il a fait des dettes, il a vécu du jeu, avec des donzelles et des spadassins ; il le dira lui-même :

J’ai beaucoup fréquenté parmi cette canaille.