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prévisions les plus pessimistes. Les meneurs de la clique raspoutinienne annoncent même que la France va être obligée de signer bientôt la paix. A la personne haut placée qui vient me répéter ce propos, je réponds que le caractère des hommes d’État, qui viennent de prendre le pouvoir, ne permet pas qu’on s’arrête, un seul instant, à une pareille supposition ; que, d’ailleurs, la partie est loin d’être perdue et que le jour de la victoire est peut-être proche.


Lundi, 31 août.

A Soldau, les Russes ont perdu 110 000 hommes, dont 20 000 tués ou blessés et 90 000 prisonniers. Deux des cinq corps engagés, le 13e et le 16e, ont été cernés. Tout le matériel d’artillerie a été anéanti.

Les prévisions du Haut-Commandement n’étaient que trop exactes : l’offensive était prématurée. La cause initiale du désastre a été la concentration insuffisante des troupes et l’extrême difficulté des transports dans une région coupée de rivières, parsemée de lacs et de forêts. Il semble aussi que le désastre ait été aggravé par une faute de manœuvre : le général Artamanow, qui commandait l’aile gauche, aurait reculé d’une vingtaine de verstes sans prévenir le général Samsonow.

Un des points, où la bataille fut le plus acharnée, est le village de Tannenberg, à 35 kilomètres au nord de Soldau. C’est là que, en 1410, le roi de Pologne, Wladislas V, défit les Chevaliers teutoniques, première victoire du slavisme sur le germanisme. Pour s’être fait attendre cinq cent quatorze ans, la revanche des Teutoniques n’en est que plus terrible.


Mardi, 1er septembre.

Sazonow m’apprend, ce matin, d’après un télégramme d’Iswolsky, que le gouvernement de la République a résolu de se transporter à Bordeaux, si le généralissime considère que l’intérêt supérieur de la défense nationale l’oblige à ne pas barrer aux Allemands la route de Paris.

— C’est une résolution douloureuse, me dit-il, mais superbe et qui ne m’étonne pas du patriotisme français.