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kiosque du Sultan et où, le dimanche, rit, éclate, s’agite, toute une population, Turcs, Arméniens, Grecs, sous de grands platanes, se tenant par l’épaule, rythmant un joli pas que règle un orchestre de mandolines, — femmes aux yachmaks blancs, roses ; mauves, bleus, et si imprévues quand on les voit avec ce traditionnel costume dans leur coupé de Paris, — et cette animation de fourmis est épandue sur les pelouses, sur l’eau que les caïques sillonnent.

Et voici venir une musique militaire : ce sont les écoles de cadets d’artillerie et de cavalerie, à qui le Sultan, en l’honneur du printemps, vient d’offrir un grand goûter, et qui s’en reviennent, graves, à un beau pas lent, par quatre, leurs officiers à cheval en tête.

Un temps de galop, et nous rentrons à Pera par de hauts coteaux nus, africains, mais nos aimables guides nous ménagent une surprise encore. Il est sept heures et demie, le jour tombe, le soleil se couche sur le Bosphore, le chemin descend sur Dolma-Bagtché et de l’autre côté du Détroit, où c’est à cette heure un va-et-vient de caïques, de mouches, de yachts, et de tartanes. Scutari étincelle comme une devanture de joaillier de tous les feux du soleil au ras de l’horizon.

Et vite en habit, pour dîner à l’ambassade, fêtés par les aimables secrétaires avec quelques convives de choix. Et, après une causerie amusante, informée et instructive, nous voici aux fenêtres du salon de la Boulinière qui s’ouvrent, telles des loges d’Opéra, sur le Bosphore. Il s’endort sous la pleine lune, là, en bas : au premier plan, deux cyprès durs ; au second plan, les terrasses s’étagent jusqu’à la rive, maisons et jardins noyés dans l’ombre d’où sortent, étincelantes dans la nuit, les blanches lancettes des minarets.

Vers dix heures, une promenade en voiture, silencieuse et lente, le long de cet unique Bosphore, et voilà la première journée.


Le lundi 29 mai, journée de détente et de repos.

L’ambassadeur, à cause de la santé de Mme Cambon, a loué une villa à Prinkipos, aux Iles des Princes, sur la côte d’Asie : il nous a envoyé sa mouche à vapeur et son cawas Hassan, un beau Turc souple, en bleu soutaché d’or avec la ceinture, le baudrier et le porte-pistolet en or brodé. Nous allons déjeuner