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Samedi, 27 mai.

Et j’achève cette lettre à bord du Tabor, le bateau de la Compagnie Fraissinet qui nous mène à Constantinople, où nous serons demain à neuf heures du matin.

Nous sommes partis ce matin à sept heures ; la cote, si plate, s’est évanouie tout de suite. Il est huit heures du soir, en pleine mer, je ne sais où.

Il n’y a pour tous passagers que Cogordan et moi, avec un tiers, le brave capitaine L… loup de mer, jovial et rassurant, notre hôte.

Et je dis « notre hôte » dans toute la force du terme, cariée bateau a avancé de vingt-quatre heures son passage à Sulina pour ne pas retarder le voyage de M. le ministre, plénipotentiaire ; c’est gratuitement et officiellement que nous transporte cet aimable bateau qui, demain, arborera, au mât de misaine, pour entrer dans le Bosphore, le pavillon français en l’honneur e son passager (l’autre), auquel j’ai vraiment la plus complète des chances d’être ainsi associé.


Constantinople, le 28 mai, à midi.

Je ferme ma lettre. Nous sommes arrivés à neuf heures. D’ici, je ne vous écrirai plus. Après Théophile Gautier, après tant d’autres, qui oserait raconter le Bosphore ? Les palais et les points de vue, les guides vous les signalent ; mais qui dira jamais, comme il convient, cette levée de rideau, lente et successive, pour qui arrive de la Mer-Noire, le fondu harmonieux des lointains que chaque tournant découvre et la vapeur lumineuse de l’admirable matinée ? — et, au dernier coup, après avoir passé Tcheragam, cette chose incomparable, si élégamment limitée, isolée de tout le reste, — la pointe du Sérail avec deux seuls tons, de l’argent sur du velours vert, le désordre blanc des minarets, des coupoles, de Sainte-Sophie, sur le fond des cyprès, des platanes et des ormes, sous le grand ciel.

Les cawas et le caïque de l’ambassade nous attendaient. Nous nous sommes trouvés transportés à l’hôtel de Byzance, avec nos bagages, sans la moindre formalité de douane ni de passeport. Pierre de Margerie, que je croyais à Paris, se met déjà en quatre, pour notre service. Nous allons faire à cheval le tour des vieux murs et, demain matin, nous allons déjeuner chez l’Ambassadeur, à l’ile des Princes, dans la mer du Marmara.