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Sauf Saint-Etienne, ces églises de Vienne sont médiocres, mais elles sont essentiellement « gemuthlich. » Les révolutions n’y ont pas passé. Chaque siècle y a mis son empreinte sans effacer celle des précédents : les témoignages les plus récents s’y superposent aux plus antiques, et cela fait une accumulation de souvenirs, parfois surchargée, mais très intéressante et documentaire. Chez nous, tantôt la vieille église est délabrée, mutilée, criant l’abandon, tantôt elle est, comme Notre-Dame ou la Sainte-Chapelle, violemment restaurée. Ici, l’on sent qu’il n’y a pas eu de solution de continuité, c’est entretenu et réparé, ce n’est pas restauré, et il s’en dégage quelque chose de fondu, d’harmonieux et de deux qui est parfaitement satisfaisant.

A une heure, déjeuner chez les Berckheim avec deux attachés de l’ambassade de France ; amis évoqués, souvenirs parisiens, une rapide visite chez Mme de Bourgoing, née Kinsky, et en voiture pour Schœnbrunn.

Je crois que tout le peuple de Vienne y était venu par cette radieuse journée d’été ; mais cette cohue, au rebours de nos cohues, n’avait rien de désagréable et m’amusait infiniment. On visitait le château par fournées. Je me suis simplement mêlé à l’une d’elles, trop heureux de bavarder avec le populaire. Les appartements, vous les connaissez, c’est du Versailles en toc. Mais dans ces augustes salles, à côté d’un lit de parade, voici que je remarque le bouton d’une sonnerie électrique. Pour Dieu, ne criez pas à la profanation. Je le trouve, au contraire, très éloquent et très sympathique, ce petit dé d’ivoire si moderne. Ce bouton électrique sur la table contemporaine de Marie-Thérèse, à côté du lit solennel de style rococo, ce qu’il signifie, c’est que le maître est toujours là, que ces antiques magnificences servent toujours aux fins auxquelles elles avaient été destinées et ne sont pas réduites à la condition banale de décors d’opéras, tolérées par grâce dans un pays où elles n’ont plus d’emploi. Ce bouton électrique, mais tant qu’il sera là, c’est pour les pierres de Schœnbrunn l’assurance de ne pas être émiettées comme celles de Saint-Cloud ou vendues à l’encan comme celles des Tuileries.

Et je passe trois heures à me promener dans ce beau parc, à détailler du haut de la Gloriette le panorama de Vienne, avec mes plans et mes cartes, à la joie de mes confiants voisins dont nul ne songe à me suspecter d’espionnage.