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espagnol, où mon titre d’ancien aide de camp du général L’Hotte m’a servi de mot de passe ; j’y revivais tout ce qu’il me conta ; les sympathies qui nous entouraient ici dans les années qui suivirent la guerre, la vivacité avec laquelle elles s’exprimaient dans les milieux militaires encore frémissants de Sadowa, l’accueil si flatteur que lui valait dans la famille impériale son triple titre d’officier, de cavalier et de Lorrain, et aussi, ce qu’il n’ajoutait pas, les qualités incomparables du gentleman, de l’officier dont il reste le modèle accompli, — et les anecdotes charmantes sur l’archiduc Albert, le culte voué par ce fils de l’archiduc Charles à Napoléon, la place d’honneur donnée dans son palais au portrait de son « oncle » et à cette croix de simple chevalier de la Légion d’honneur, seul présent qu’à l’occasion du mariage de Marie-Louise l’Empereur eût jugé digne de son adversaire d’Essling.

Une heure à Saint-Etienne, un pèlerinage aux tombeaux impériaux des Capucins, où m’attirait entre tous le tombeau de cet énigmatique archiduc Rodolphe dont il eut été d’une si poignante curiosité de voir le modernisme aux prises avec son contemporain et rival Guillaume, et me voici à midi et demi à la relève quotidienne de la garde du Burg.

Tu as vu et tu te rappelles cette amusante représentation : une compagnie d’infanterie de ligne relève une compagnie d’un régiment bosniaque à la chéchia ronge et au type turc : le drapeau sort, les consignes se prennent, avec les jolis mouvements souples de ces beaux gars, si naturellement élégants, moins raides que l’Allemand, moins négligés que les nôtres, tandis que la musique joue dans l’appartement impérial et que les aides de camp de service, rouges à plastron d’or, apparaissant à la fenêtre de l’Empereur.

Après-midi, la station usuelle a l’ambassade de France, avec la partie de blague aimable et courtoise qui est de tradition dans toutes les Chancelleries ; — à quatre heures, tour de Prater, guidé par Berckheim, qui salue tout le monde et me nomme les personnages : la duchesse de Cumberland-Hanovre, à pied, suivie de son carrosse drapé, à livrée écarlate ; quelques archiduchesses dans les voitures de la Cour dont les livrées mastic et le bicorne à plumes sont aux antipodes du chic anglais, — et les fiacres rapides, les jolis fiacres de Vienne, attelés de fins chevaux hongrois, filant comme le vent.