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auquel la gaîté a imprimé ses plis et ses stigmates et sur qui la misère soudain applique son masque transparent, au travers duquel ce qui fut le sourire persiste avec sa contraction indélébile. C’est le visage que m’a montré Vienne. Il y aurait là-dessus à dire beaucoup que je ne dirai point, la politique n’étant point de mon ressort, et puisque nous ne sommes point en Chine où les astronomes ont, dit-on, le pas sur les ministres. Mais pour rester dans le petit domaine qui est le mien, celui de la science, on ne peut voir sans tristesse tomber en poussière les instituts scientifiques et les laboratoires de cette métropole, d’où sortirent naguère beaucoup de découvertes et où de pauvres vieux savants meurent aujourd’hui, — ceci n’est pas une façon de parler, — de faim, tandis qu’à côté la dernière opérette viennoise de Lehar s’essaie à une roulade qui s’achève en sanglot, tandis qu’un peu plus loin la riche et puissante Allemagne intacte, et fortifiée même dans son unité, plus raidie que jamais dans sa force, ainsi qu’un faisceau de branches qu’on rend solides en les liant, s’apprête à faire demain de nouvelles victimes et aussi de nouvelles dupes… Mais laissons tout cela pour aujourd’hui, puisqu’aussi bien nous ne faisons que passer ici.

A côté de la détresse qui émerge partout dans ce qui fut l’Autriche, la Hongrie donne une impression moins misérable. On sent que ce pays agricole, si réduit qu’il soit, saura et pourra mieux se suffire à lui-même. On sent aussi que les Magyars, spécialement les officiers (qui par milliers maintenant traînent à Budapest et ailleurs une oisiveté qui n’est pas sans danger pour le gouvernement lui-même), n’acceptent pas sans une secrète révolte la position à laquelle on les a réduits. De ce que j’en ai vu, à travers les persiennes étroites d’une brève randonnée, j’ai gardé l’impression d’un fauve orgueilleux, non dénué d’ailleurs de je ne sais quel hautain sentiment de supériorité, et qui se ramasse sur lui-même pour bondir dès que faire se pourra, hors de la cage que Messieurs les diplomates ont forgée autour de lui. Les barreaux en sont-ils solides ? tout est là.

Je passe sur quelques menues aventures de mon voyage en Hongrie, dont quelques-unes furent piquantes, notamment à Szeged où, ayant passé par mégarde la nouvelle ligne de délimitation avec la Yougo-Slavie, je faillis être exécuté sommairement. Par-dessus les diverses frontières de tous ces nouveaux