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cajole un oncle à héritage. Une gracieuse petite nièce paraissant devoir lui couper l’herbe sous le pied, il favorise et conseille même, hypocritement, un séducteur, dont le succès aurait pour résultat de faire chasser la pauvre enfant. Il s’excuse : ce qu’il fait, c’est par amour paternel, pour gagner une dot à sa fille. « Plus mon entreprise est ignoble, plus mon amour paternel est magnifique. » Dans la comédie, Piquendaire s’appelle Féline. Ses premiers mots sont :

Ah ! qu’une conscience est un grand embarras
Et qu’on serait heureux si l’on n’en avait pas !

Et après dix infamies, il termine par ce vers :

Parbleu, j’étais bien sûr que je suis honnête homme.

L’insuccès de cette pièce fit sans doute réfléchir Augier, car il garda le silence pendant trois ans. Mais la période de ses tâtonnements était terminée, et, si l’on en excepte Diane qui fut son Don Garcie de Navarre, il va marcher d’un pas ferme dans la voie qu’il a choisie. Rejetant tout à fait les souvenirs du romantisme, pas assez ceux de Scribe, il va travailler lentement, sûrement, solidement à la création du théâtre réaliste et continuer pour la scène la renaissance dont Balzac, qui vient de mourir, a fait profiter le roman.

Il ne fut pas seul ; pour plusieurs de ses pièces il eut un collaborateur. On le lui reprocha et le jour de sa réception à l’Académie, — à trente-sept ans, — Lebrun lui dit, avec plus d’esprit que de bienveillance : « Une grande comédie en prose est assurément une œuvre très littéraire, surtout si elle est l’œuvre d’un seul auteur. »

Quelle fut donc la part des collaborateurs dans l’œuvre d’Augier ? Que répondre à cela ? Ceci :

La question est d’autant plus délicate que la plupart sont des hommes de beaucoup d’esprit et de talent, que la plupart ont eu de grands succès sans lui. Mais je remarque que les pièces qu’ils font sans lui ont la tournure toute différente de celles qu’ils font avec lui ; et qu’au contraire son répertoire à lui porte partout la même empreinte, la même marque de fabrique, reconnaissable entre mille, qui par conséquent ne peut être que la sienne propre.

Cette réponse est d’Augier. Elle fut écrite pour justifier Labiche et s’applique admirablement à lui-même.