Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/605

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des intentions, l’impression qu’il existe un système coordonné et complet de politique britannique. Il est très délicat de caractériser une politique essentiellement mobile et fluctuante qui se plie aux événements quotidiens pour en profiter plutôt qu’elle ne cherche à les préparer ou à les prévenir, qui ne se pique pas de logique et ne s’offusque pas des contradictions. La définir, c’est la fixer, donc la fausser. Elle trouve son unité dans un sentiment instinctif et traditionnel, mais parfois mal adapté aux situations nouvelles, de l’intérêt de l’Etat et de l’Empire. Il serait également téméraire et contraire à la réalité psychologique de conclure, même d’un grand nombre de faits, à une politique volontairement et sciemment opposée à celle de la France. On comprendra mieux, lorsque nous aurons exposé les nécessités permanentes de la politique française, pourquoi si souvent l’antinomie éclate là où les intelligences et les cœurs voudraient voir fleurir l’harmonie.

Si toutefois l’on voulait résumer et condenser en formules forcément trop rigoureuses les observations que nous avons rassemblées, voici ce que l’on pourrait dire : la guerre qui a bouleversé l’Europe et cruellement martyrisé les peuples, la révolution qui a détruit la Russie, l’affranchissement des nationalités qui a fait craquer l’armature des vieilles monarchies, sont apparus d’abord à l’Angleterre, pour qui la navigation et le commerce sont une condition indispensable de sa vie nationale, comme une occasion inespérée de saisir et d’organiser à son profit des débouchés commerciaux dans la mer du Nord, la Baltique, la Méditerranée, la Mer Noire. Les dirigeants de l’Empire ont regardé le continent comme une énorme réserve, indéfiniment renouvelée par le travail, des denrées et des matières premières nécessaires à l’appétit des hommes et des machines, et comme un gigantesque marché capable d’absorber les produits de l’industrie nationale. Le cours des changes offre à l’Angleterre des avantages temporaires dont elle se sert pour acquérir partout, mais surtout dans les ports et sur les côtes, des terrains, des magasins, des usines, des « valeurs » de toute nature. Il est utile à la prospérité du Royaume-Uni qu’aucun État puissant ne se reconstitue sur les ruines de l’Europe centrale et orientale, tout grand État pouvant devenir un concurrent et mettre lui-même en valeur les produits de son sol et de son sous-sol. Ce qu’on a appelé la « balkanisation » de l’Europe a semblé un avantage