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d’avantages territoriaux ou commerciaux, ni de privilèges, dans les arrangements internationaux qui pourront intervenir par rapport au canal, » réserve formellement « les droits de la Turquie comme Puissance territoriale. » Or, le traité de Sèvres, que vient de signer la Turquie, dans son article 109, s’exprime ainsi : « La Turquie renonce en faveur de la Grande-Bretagne aux pouvoirs conférés à S. M. impériale le Sultan par la convention signée à Constantinople le 29 octobre 1888, relativement à la libre navigation du canal de Suez. » Ainsi, tant comme exerçant le protectorat sur l’Egypte que comme substituée aux droits du Sultan, l’Angleterre acquiert la souveraineté territoriale sur le canal de Suez, le droit de l’occuper militairement, de le fortifier. La liberté de la navigation, si une nouvelle convention internationale n’intervient pas, ne sera plus qu’une vaine formule, qu’un droit théorique dont l’exercice sera soumis aux convenances de l’Amirauté. C’est là un avantage d’une immense portée politique et économique qui, à lui seul, constitue une compensation de haute valeur aux sacrifices faits par le peuple anglais durant cette guerre.

Pour protéger une si précieuse conquête, l’Etat-major britannique a exigé que la Palestine, y compris les ports de Jaffa, Caïffa et Saint-Jean-d’Acre, fût mise sous le contrôle de l’Empire britannique pour servir de tête de pont au-delà du canal et permettre d’établir des communications par terre avec le Golfe Persique et l’Inde. La convention de 1916, dont nous avons eu déjà l’occasion de parler ici[1], reconnaissait à la Russie impériale le droit d’occuper et de garder Constantinople et les Détroits, et d’organiser une Arménie sous sa protection. L’Angleterre se contentait d’annexer Chypre le 5 novembre 1914. Elle payait, non sans regrets, de sa renonciation à la route de la Mer notre et à une tradition politique séculaire, la reconnaissance par la France et la Russie de la domination anglaise sur le canal, la Palestine et la Mésopotamie. Elle gardait cependant deux routes de l’Inde, la route maritime par Suez, la route de terre de Caïffa à Bassorah et Bagdad. Mais la présence de la France en Syrie à Damas, Alep, Alexandretteet Mossoul, prévue par la même convention, inquiétait le vieil esprit impérialiste et dès lors commençait la campagne contre l’influence française en Syrie.

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1919.