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sorte : la Prusse s’oppose à la constitution des sociétés par actions ; elle refuse des crédits pour la construction des premiers chemins de fer rhénans ; elle suscite d’incessantes difficultés aux nouvelles entreprises de l’industrie textile ou métallurgique ; elle interdit la création de sociétés minières, de sociétés de contre-assurance ; elle n’accorde aucune représentation au commerce ni à l’industrie dans les assemblées provinciales et ne consulte que bien rarement les Chambres de commerce du Rhin. « D’un côté, une masse énorme de projets pratiques, utilisables, établis par une bourgeoisie appliquée et travailleuse ; de l’autre, le mauvais vouloir du gouvernement prussien et l’impossibilité d’agir efficacement sur lui. » Voilà, selon le biographe allemand, la marque caractéristique de l’époque, et ses témoignages accablants nous font voir dans une sorte de clarté tragique comment la nouvelle classe de la bourgeoisie, qui s’était formée sous le régime napoléonien et par ses soins, se trouva brisée dans son développement.

Jusqu’à 1850, les industriels rhénans, de la même manière qu’ils avaient collaboré avec l’administration napoléonienne, s’efforcèrent de collaborer au développement de la vie économique et sociale de l’État prussien. Mais la bureaucratie prussienne refusait leur concours. Elle voulait régler sans eux sa politique économique et sociale, A partir de 1850, ils se résignèrent à ne plus s’occuper que de leurs entreprises particulières. Le bel idéal napoléonien des « notables » s’évanouit. Dans une lettre mémorable dii 27 janvier 1851, Mevissen écrit ces lignes où l’on croit entendre une âme découragée : « Dans l’état actuel des choses, et par suite de l’impuissance absolue de la Chambre dans les questions politiques, je pense que les intérêts matériels constituent désormais la seule base sur laquelle pourra se développer un meilleur avenir. » Nos industriels rhénans vont consentir, par impuissance, à n’avoir plus pour idéal que de faire fortune.

Les résultats de cet abaissement qu’a voulu le régime prussien n’apparaissent qu’avec une clarté trop éloquente. Les procédés du mercantilisme et le goût de l’argent se développent : les vertus morales et sociales de la petite bourgeoisie disparaissent ; les grands industriels et les grands propriétaires luttent avec le prolétariat industriel et agricole, chaque jour accru, à qui des théoriciens donnent ses nouveaux principes de