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Dans un éblouissement de soleil, tout le décor de Moscou se déploie soudain. Tandis que la procession se déroule, je songe que, seule, la cour de Byzance, à l’époque de Constantin Porphyrogénète, de Nicéphore Phocas, d’Andronic Paléologue, a connu des spectacles d’une pompe aussi grandiose, d’un hiératisme aussi imposant.

A l’extrémité de la passerelle tendue de pourpre, les voitures de la Cour attendent. Ayant d’y monter, la famille impériale reste quelque temps exposée aux acclamations frénétiques de la foule. L’Empereur nous dit, à Buchanan et à moi :

— Approchez-vous de moi, messieurs les ambassadeurs. Ces acclamations s’adressent à vous autant qu’à ma personne.

Sous la rafale des cris enthousiastes, nous parlons, tous les trois, de la guerre commencée. L’Empereur me félicite de l’admirable élan qui anime les troupes françaises et me réitère l’assurance de sa foi absolue dans la victoire finale. L’Impératrice cherche à me dire quelques paroles aimables. Je l’aide :

— Quel spectacle réconfortant pour Votre Majesté ! Comme tout ce peuple est beau à voir dans son exaltation patriotique, dans sa ferveur pour ses souverains !

Elle répond à peine ; mais la constriction de son sourire et l’étrange éclat de son regard fixe, magnétique, flamboyant, révèle son ivresse intérieure.

La Grande-Duchesse Élisabeth se mêle à notre entretien. Son visage, encadré dans le long voile de laine blanche, est saisissant de spiritualité. Finesse des traits, pâleur de l’épiderme, vie profonde et lointaine des yeux, timbre amorti de la voix, lueur d’auréole sur le front, tout trahit en elle la créature qui a commerce habituel avec l’ineffable et le divin.

Pendant que Leurs Majestés rentrent au Grand-Palais, nous sortons, Buchanan et moi, du Kremlin, au milieu des ovations qui nous accompagnent jusqu’à l’hôtel.

J’emploie l’après-midi à visiter Moscou, m’attardant de préférence aux souvenirs de 1812, qui, par le contraste de l’heure actuelle, acquièrent un relief saisissant.

Au Kremlin, le fantôme de Napoléon se dresse, en quelque sorte, à chaque pas. De l’Escalier rouge, l’Empereur a observé tous les progrès de l’incendie, pendant la nuit sinistre du 16 au 17 septembre. C’est là qu’il a tenu conseil avec Murat, Eugène,