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respectives est encore plus éloquent. Au cours de l’année dernière, les marchandises importées d’Allemagne valaient, en bloc, 643 millions de roubles, tandis que les marchandises anglaises ne représentaient que 170 millions, les marchandises françaises 56 millions et les marchandises austro-hongroises 35 millions.

Comme élément d’influence germanique en Russie, il faut compter, de plus, toute une population d’immigrés allemands, parlant la langue allemande, gardant la tradition allemande et qui ne compte pas moins de 2 millions de personnes, installées dans les Provinces baltiques, dans l’Ukraine et dans la vallée inférieure de la Volga.

Enfin et surtout, il y a les « barons baltes, » qui ont accaparé peu à peu toutes les hautes charges de Cour, tous les premiers emplois de l’armée, de l’administration et de la diplomatie. Depuis cent cinquante ans, la caste féodale des Provinces baltiques a fourni au tsarisme ses plus dévoués serviteurs, ses plus redoutables agents de réaction. C’est la noblesse balte qui a fait triompher l’absolutisme autocratique, en écrasant l’insurrection de décembre 1825 ; c’est elle qui a dirigé les répressions, à chaque réveil de l’esprit libéral ou révolutionnaire ; c’est elle qui a le plus contribué à faire de l’État russe une grande bureaucratie policière, où se combinent, dans un amalgame étrange, les procédés du despotisme tartare et les méthodes de la discipline prussienne ; c’est elle qui constitue la principale armature du régime.

Pour mesurer l’aversion que les « barons baltes » inspirent aux vrais Russes, je n’ai qu’à écouter le maître des cérémonies, W… avec qui je suis en confiance et dont le nationalisme outrancier m’amuse. Étant venu me voir hier pour une affaire de service, il a déblatéré, avec plus de passion encore que de coutume, contre les Allemands de la Cour, — le comte Fréedericksz, qui est ministre de la Maison Impériale, le baron Korff, qui est Grand-Maître des Cérémonies, le général de Grünewaldt, qui est Grand-Écuyer, le comte Benckendorff, qui est Grand-Maréchal, et tous les Meyendorff, Budberg, Heyden, Stackelberg, Nieroth, Kotzebue, Knorring, etc. qui encombrent les palais impériaux. Il a conclu, en soulignant ses mots d’un geste expressif :

— Après la guerre, nous tordrons le cou à tous les barons baltes.