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haines une habileté consommée, un rare esprit d’astuce et de combinaison.

— Je ne sais pas ce qui resterait de son habileté, si on en retirait la perfidie… Quoi qu’il en soit, nous ne saunons être trop attentifs aux faits et gestes de Ferdinand. J’ai cru devoir le prévenir que, s’il intrigue avec l’Autriche contre la Serbie, la Russie retirera définitivement son amitié au peuple bulgare. Notre ministre à Sofia, Savinsky, est très fin ; il s’acquittera de la commission avec tout le tact désirable.

— Ce n’est pas assez. Il y a d’autres arguments, auxquels la clique des politiciens bulgares est très sensible ; nous devrions y recourir sans retard.

— C’est aussi mon avis. Nous en reparlerons.

La guerre paraît avoir suscité, dans tout le peuple russe, un prodigieux élan de patriotisme.

Les informations, tant officielles que privées, qui me parviennent de la Russie entière, sont unanimes. A Moscou, à laroslawl, à Kazan, à Simbirsk, à Toula, à Kiew, à Kharkow, à Odessa, à Rostow, à Samara, à Tiflis, à Orenbourg, à Tomsk, à Irkoutsk, partout, ce sont les mêmes acclamations populaires, la même ardeur grave et pieuse, le même ralliement autour du Tsar, la même foi dans la victoire, la même exaltation de la conscience nationale. Aucune contradiction, aucune dissidence. Les mauvais jours de 1905 semblent effacés de toutes les mémoires. L’âme collective de la Sainte Russie ne s’était pas exprimée aussi fortement depuis 1812.


Mardi, 11 août 1914.

Les troupes françaises qui, d’un si bel élan, avaient occupé Mulhouse, sont obligées d’en sortir.

L’animosité contre les Allemands continue de se manifester, à travers toute la Russie, avec violence et dégâts. La suprématie que l’Allemagne avait conquise dans tous les domaines économiques de la vie russe et qui équivalait le plus souvent à un monopole, ne justifie que trop cette réaction brutale du sentiment national. Il est difficile d’évaluer d’une façon précise le nombre des sujets allemands installés en Russie ; mais on ne se tromperait guère en le fixant à 170 000 contre 120 000 Austro-Hongrois, 10 000 Français et 8 000 Anglais. Le tableau des importations